Carl Belmeyer, c'est le journaliste-star qui présente depuis trois décennies le JT de 20h sur la principale télé française. Âgé de soixante-et-un ans, il est apprécié du public pour son professionnalisme, sa sincérité, sa solidarité corporatiste, sa compassion pour les victimes. Sa crédibilité, il l'a acquise grâce à son mentor Pierre-Yves Maillet, soixante-douze ans, toujours directeur de l'info de leur chaîne. Privilégier le spectaculaire et parler vrai, telles sont les clés de la popularité de Carl Belmeyer. Avec ce pro, la fabrication d'un JT, c'est du grand art. Ou plutôt une vaste manipulation, le mensonge à tous niveaux, le show de l'info dirigée pour influencer les cerveaux disponibles. Inventer des polémiques, choisir les plus racoleurs des sujets, voilà comment faire de l'audience. En réalité, Carl Belmeyer est un orgueilleux dépourvu du moindre sentiment. Il vit dans le luxe, fréquente les puissants.
Un accident mortel s'est produit en direct dans une émission putassière de télé-réalité. Ce qui entraîne une situation de crise au sein de la chaîne. Rien d'insurmontable, mais déjà un public hostile se mobilise, manifestant contre eux. Un show fédérateur autour d'une vieille gloire du spectacle ne suffira pas à calmer l'opinion. Pour riposter avec efficacité, Carl Belmeyer est l'atout n°1 de sa chaîne. Pierre-Yves l'envoie faire un reportage spécial au Liberia, pays en plein chaos ravagé par la guerre civile. Si Belmeyer hésite, son image quelque peu écornée par ailleurs l'amène à accepter. L'argument du “retour au journalisme de terrain”, ça fonctionne, ça fait sérieux. D'autant que, dès l'aéroport, le départ de Carl Belmeyer est très médiatisé. C'est ainsi qu'avec une équipe technique de choc, il débarque peu après de l'avion à Monrovia. Où il retrouve sa consœur et ex-amante Sarah Rouvier.
Dans ce pays où toute règle a disparu, le journaliste masque mal son stress, sa trouille. Il n'a pas tort d'avoir peur car, rapidement, un grave incident oppose leur petit groupe à des militaires excités. Carl Belmeyer enlevé et séquestré, voilà qui est excellent pour la chaîne et ses audiences. Pierre-Yves supervise la campagne de communication visant à sauver cet otage du terrorisme qui ne faisait que son métier. Conditionné, le public va adhérer en masse. On distribue des badges et des tee-shirts, on a écrit une chanson interprétée par des étoiles filantes de la variété actuelle, on prépare un livre sur l'évènement signé par le kidnappé. Une vidéo où, sous la menace, Carl Belmeyer transmet les exigences de ses ravisseurs passe de l'AFP jusqu'au sommet de l’État. Tout cela n'est que mystification. Il est vrai que la journaliste n'est pas libre, mais il se trouve bien loin du désordre africain.
Le mercenaire serbe Emir Zarkan ? Même quelqu'un de bien informé comme Belmeyer ignore à peu près tout de lui, de ses actions meurtrières à travers le monde, au service du plus offrant. Il a failli être intercepté à New York, ce que le JT traita tel un simple fait divers. On ne le surnomme pas au hasard “le Chat” : Zarkan semble avoir droit à plusieurs vies. Seuls les services secrets de plusieurs nations mesurent la dangerosité réelle de ce tueur. Il paraît prêt à se laisser approcher aujourd'hui, non sans difficultés. Vrai-faux prisonnier, Carl Belmeyer peut-il jouer un rôle dans cette affaire ? Certains le pensent…
Informer, éduquer, distraire, ce sont les missions de la télévision depuis le développement de ce média dans les années 1950. Il vaut mieux en parler au passé, car ces principes ont depuis longtemps disparu du petit écran. Côté information, la télé d’État gaulliste relayait déjà une image truquée du pays. Par la suite, tous les gouvernants et autres politiciens d'opposition se sont servis à outrance de la télé. Rares étant ceux qui leur aient apporté la contradiction, ils auraient eu tort de se gêner. Depuis les années 2000, via les émissions de témoignages ou les micro-trottoirs, l'info prétend donner la parole à la population. Un simulacre cynique de démocratie, autant que ces "marches blanches" existant seulement parce que la télé vient les filmer. Le public critique la télé-réalité, les talk-shows ineptes, les débats orientés, et les jeux débiles, mais ils les regardent… et y participent.
Déontologie journalistique ? Voilà la formule la plus hilarante du 21e siècle. À la télévision, le moindre journaleux se prend pour un roi de l'info. S'il se déplace à deux cent mètres de ses studios, le voilà intronisé reporter. S'il intervient ponctuellement au JT, sur les chaînes info, c'est la consécration. “Le succès des uns, c'est avant tout la crédulité des autres” est-il dit dans ce roman. Ce n'est pas favoriser la fameuse "théorie du complot" de rappeler que la communication et la manipulation sont omniprésentes. Choix d'invité(e)s toujours plus catégoriques dans leur propagande idéologique, de pseudo-experts plus affirmatifs que de véritables spécialistes attestés, de montrer un pape agréable succédant à un pape antipathique, de tous ces thèmes traités "qui intéressent les Français" alors qu'ils nous les imposent : gobez cette mixture antalgique sans réfléchir, c'est pour votre bien.
Ce n'est pas une thèse sur l'info télévisée que nous propose Michaël Mention, c'est un vrai roman noir d'aventure, riche en péripéties. Et en personnages, tous plus pourris les uns que les autres, il faut bien l'avouer. On en finirait presque par avoir de la sympathie pour le héros, présentateur du JT. Ça ne va pas jusqu'à là, car cette histoire mouvementée est l'illustration de la désinformation telle qu'elle se pratique de nos jours. Surtout ne jamais évoquer ce qui se passe dans l'ombre, les enjeux politiques ou financiers, internationaux ou locaux. Le journaliste va passer cette fois de l'autre côté de ce miroir-là, celui dont il exploite la version orientée dans son JT. "Liberté d'opinion, liberté de la presse", oui. Ce qui ne signifie pas être dupe des charlatans de l'information. Entre action et réflexion sur un aspect de notre société, encore un excellent roman de Michael Mention.
Michaël Mention : Jeudi noir (Ombres Noires, 2014) - Le blog de Claude LE NOCHER
Été 1982, la Coupe du Monde de football se dispute en Espagne. En ce 8 juillet, la demie-finale voit s'affronter l'Équipe de France et la Mannschaft, celle de la RFA. Les deux camps ont élimin...
http://www.action-suspense.com/2014/11/michael-mention-jeudi-noir-ombres-noires-2014.html
Ma chronique sur un précédent roman de Michaël Mention.
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