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3 juin 2015 3 03 /06 /juin /2015 07:50

Quand Saddam Hussein naît en 1937 dans la région de Tikrit, l'Irak reste un pays instable, bien que les Anglais aient placé sur le trône Fayçal 1er. À Bagdad, le pouvoir central est impuissant face aux conflits interethniques et religieux, les tribus étant puissantes dans chacun de leurs fiefs. Saddam est un bébé non désiré, qui n'a jamais connu son géniteur. Sa mère va bientôt se remarier, et aura d'autres enfants, Saddam apparaissant comme le bâtard de la famille. Son beau-père, “Ibrahim Hassan est un colosse au tempérament vicieux et brutal. Adipeux, le visage encadré d'un collier de barbe, la lèvre surmontée d'une fine moustache, il a le regard dur et froid. Il sera le tortionnaire de Saddam pendant six longues années.” Ce salopard, l'enfant n'est pas près d'oublier qu'il sent mauvais.

Jusqu'à l'âge de dix ans, Saddam est un va-nu-pieds en guenille qui survit, éprouvant une certaine jouissance à tuer des animaux. Une enfance solitaire, faisant de lui un être retors et cynique. En 1947, il se réfugie chez son oncle Khairallah, qu'il admire. Ancien officier, il a été chassé de l'armée, devenant instituteur à Bagdad. Il va scolariser le petit Saddam. Il lui offre même, vers l'âge de quatorze ans, un revolver. Objet fétiche que l'ado garde en permanence avec lui, et dont il se servira finalement. L'oncle Khairallah va surtout être le mentor, l'inspirateur politique de Saddam Hussein. À l'exemple de Nasser en Égypte, les peuples arabes militent pour la décolonisation totale de leurs pays. En Irak, le parti Ba'as gagne des partisans. Saddam y adhère jeune, jusqu'à en devenir le tyrannique leader…

Idi Amin Dada est né en Ouganda entre 1923 et 1925, à Koboko, au cœur de l'Afrique noire. Peu certain d'être son géniteur, son soldat de père abandonne vite sa famille. Fille d'un chef tribal du Congo, sa mère Assa mène durant l'enfance d'Idi Amin une vie plutôt vagabonde. Cette mystique pratique la sorcellerie, assortie de rituels sanglants. Gros bébé joufflu, son fils baigne dans cette ambiance glauque. En 1941, Assa et Idi Amin se rapprochent de la capitale ougandaise. “Victime d'une discrimination ethnique à l'encontre des Nubliens, [il] n'ira que quelques mois à l'école. Il a alors entre treize et seize ans, une carrure déjà herculéenne et des mains larges comme des battoirs. Avec d'autres laissés-pour-compte, il monte parfois à Kampala pour se colleter avec les étudiants, plein de haine contre ces privilégiés qui s'imaginent certainement bien supérieurs à lui...”

Vers la fin de son adolescence, sa mère Assa dégote un certain caporal Yafesi Yasin, avec lequel ils vont vivre quelques temps. Un militaire dont le décès sera assez suspect, qu'on suppose dû à la sorcellerie d'Assa. En 1946, Idi Amin devient soldat dans la King's African Rifles, en tant qu'aide-cuisinier. Ce qui ne l'empêchera pas de participer à des massacres, et d'en tirer un immense plaisir. “Ses protecteurs britanniques cautionnent également son accession au pouvoir lors du coup d'état du 25 janvier 1971. Commence alors le règne déjanté d'Idi Amin Dada...” qui va marquer la décennie jusqu'en avril 1979. Il causa près de trois cent mille victimes durant son règne cruel. “L'anthropophagie rituelle sert aussi à s'approprier la force d'autrui et à inspirer la terreur chez les ennemis, une coutume à laquelle l'enfant devenu dictateur ne dérogera pas, notamment en gardant toujours en réserve dans des congélateurs les têtes de quelques contestataires présumés...”

Véronique Chalmet : L'enfance des dictateurs (Éd.Points, 2015)

Idi Amin Dada et Saddam Hussein sont deux des despotes présentés dans cet ouvrage. On y lit aussi les “portraits d'enfance” de Pol Pot, Staline, Kadhafi, Hitler, Franco, Mussolini, Mao et Bokassa. Est-ce que les premières années de vie et le contexte familial des futurs dictateurs expliquent leur désir de pouvoir absolu, leur violence pour conquérir le sommet et réprimer les opposants ? Généralement solitaires, parfois ballottés, souvent maltraités, ces enfants-là développent une forme particulière de charisme. Ils ne charment pas, ils imposent leur force. Ils ont été seuls, ils s'entourent d'un groupe ou d'une tribu, de personnes déterminées. Des criminels aussi, car si le chef sans pitié donne les ordres, les exécutants ne rechignent pas, au contraire.

Cet ouvrage est réédité en poche, dans la collection de Stéphane Bourgoin “Points Crime”, qui publia déjà “L'enfance des criminels” d'Agnès Grossmann. Ces livres ont toute leur place dans ce cadre, car tout dictateur est un assassin au même titre qu'un tueur-en-série ou qu'un meurtrier d'occasion. Enfants mal-aimés ou mal élevés, il ne s'agit nullement de justifier ou d'excuser les tyrans, mais de montrer les circonstances qui ont précédé leur prise de pouvoir. Les rappels historiques de ce genre sont toujours utiles, nécessaires.

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commentaires

P
Bonjour M. Le Nocher,<br /> <br /> J'ai déjà l'édition grand format de 2013, mais en passant dans une de mes librairies habituelles je regarderai cette nouvelle édition poche. Il peut toujours y avoir une actualisation.<br /> <br /> Je voulais aussi dire que ce sujet - expliquer en partie, mais nullement justifier, le parcours de criminels ou de dictateurs par leur enfance malheureuse ou maltraitée - rappelle l'oeuvre d'Alice Miller. <br /> Auteur et psychanalyste loin de faire l'unanimité et qui avait elle-même pris ses distances avec le courant majoritaire de la psychanalyse, mais dont les livres restent recommandables.<br /> <br /> Pour une vision critique néanmoins, voir - j'ai ce livre - :<br /> <br /> Le vrai " drame de l'enfant doué " ; la tragédie d'Alice Miller<br /> Martin Miller<br /> Puf , 2014<br /> <br /> " Dans cet ouvrage contenant trois lettres que lui a adressées sa mère, Martin Miller éclaire un pan jusqu'ici totalement inconnu de l'auteur du Drame de l'enfant doué (Puf, « Quadrige »). Les travaux d'Alice Miller ont été primordiaux dans la vie de ses lecteurs dont elle était d'ailleurs très proche en allant chercher dans l'enfance l'explication du sentiment d'isolement d'adultes ayant réussi leur vie, apparemment contradictoire avec un parcours sans faute. Pourtant, la psychanalyste semble n'avoir jamais réussi à appliquer ses nombreux conseils à ses propres enfants : son fils Martin est placé en nourrice à la naissance, puis transporté de maison d'enfant en foyer ; le schéma se répète avec sa soeur, trisomique, rapidement placée dans un institut ; son mari, violent, ne sort de sa vie qu'après 27 années d'un mariage malheureux. De tout cela, elle a conscience et s'en excuse dans ses courriers à son fils.<br /> Martin Miller ne cherche pas ici à régler de comptes avec une mère avec qui les liens n'ont jamais été rompus, mais n'ont jamais réellement existé non plus. Devenu thérapeute à son tour, il a mené l'enquête dans le passé de sa mère qui avait, disait-elle, « effacé [sa] biographie ». En ressort un livre passionnant, sur fond de passé douloureux mais totalement éclairant, sans pathos, jargon, ni voyeurisme. Quatre ans après sa mort, l'intrigante Alice Miller semble ici enfin s'allonger sur le divan. "<br /> <br /> http://fr.wikipedia.org/wiki/Alice_Miller<br /> <br /> [...<br /> <br /> Théories<br /> <br /> L'exemple le plus célèbre, qu'elle choisit dans C'est pour ton bien (en allemand Am Anfang war Erziehung, littéralement Au commencement était l'éducation), est celui d'Hitler, qui aurait reproduit, en arrivant au pouvoir, les sévices que lui avait fait subir son père.<br /> <br /> En rupture totale avec la psychanalyse dominante, qui qualifie trop souvent les expériences de l'enfance de fantasmatiques, elle quitte la Société suisse de psychanalyse et l'Association psychanalytique internationale en 1988.<br /> <br /> Le film La Chute ayant ravivé la discussion sur l'humanité d'Hitler, elle déclarait en janvier 2005 :<br /> <br /> « Malheureusement, on nie partout le fait que tous les monstres sont nés enfants innocents et deviennent bestiaux à cause de leur éducation brutale. Les terroristes qui décapitent leurs victimes, en Irak ou ailleurs, ne sont-ils pas des êtres humains, ne sont-ils pas, comme Hitler, devenus des êtres cruels et sans scrupules à la suite de leur enfance ? »<br /> <br /> Elle note cependant la présence de ce qu'elle nomme un témoin secourable (6 ) dans l'entourage des enfants victimes qui ont pu échapper à un destin de bourreaux :<br /> <br /> « Il est intéressant que dans les enfances de tous ces dictateurs, comme aussi dans ceux des criminels en série, on ne trouve pas de personnes que j'appelle "les témoins secourables" Il s'agit de personnes que presque chacun de nous connaît, quelqu'un qui nous a aimé, qui nous a donné un peu de chaleur, un peu de confiance en nous. Grâce à la présence d'une telle personne (même très passagère), nous pouvions développer l'espoir de trouver l'amour dans notre vie. Mais si une telle personne ne partage jamais la vie de l'enfant en le réconfortant, celui-ci ne connaîtra que la violence. Il la glorifiera et la perpétuera ( 7 ). »<br /> <br /> Ses explications invitent à une autre lecture des problèmes liés à la maltraitance, ainsi qu'à la prévention des sévices. Il y aurait lieu d'aider les adultes maltraitants, à tous les niveaux de la société, à se libérer de leur passé douloureux, intériorisé et toujours nié ( 8 ), mais la société ne reconnaît que les formes de maltraitance les plus visibles et ne s'intéresse pas à celles non encore reconnues, qui sont pourtant les plus destructrices parce que justement on ne les voit pas et refuse de les reconnaître ; maltraitances dont la plupart d'entre nous ont été victimes dans leur enfance sans pouvoir les considérer comme telles, car ce que l'on vit dans la prime enfance est nécessairement conçu comme normal.<br /> <br /> ... ]<br /> <br /> Cordialement
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C
Oui, Philippe, les théories sur "l'influence de l'enfance" sont multiples, et vont dans toutes les directions, saugrenues ou sérieuses, stupides ou fiables. Est-ce que tous les enfants mal traités durant leur jeune âge deviennent des monstres ? Non, seulement quelques-uns, heureusement. Est-ce qu'une "main secourable" empêche le dérapage ? Pas dans le cas des frères Kouachi, assassins de Charlie Hebdo, qui furent pourtant aidés durant leur enfance pas très heureuse. Est-ce une éducation trop stricte ou à l'inverse trop laxistes, qui rend pervers les mômes devenant adultes ? Toute généralisation serait idiote, n'est-ce pas ? C'est probablement le cas de psys tels Alice Miller, qui ont tiré des conclusions trop aléatoires. Personne n'est "prédestiné" à commettre des meurtres, personne ne peut certifier qu'il n'en commettra jamais. Quoi qu'il en soit, on ne peut que recommander un livre tel que celui-ci de Véronique Chalmet, car elle n'oublie pas - et c'est essentiel - le contexte autour des futurs dictateurs.<br /> Amitiés.

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