Watertown est une ville du Massachusetts, au Nord-Est des États-Unis, dans la banlieue de Boston. On y trouve un quartier mal famé, les Bellams. Le reste de Watertown est typique des villes américaines sans atout particulier. À part peut-être son Grand Hôtel des Congrès datant de 1927. Marié, père de deux filles, Paul McCarthy est le shérif de Watertown. Sa famille reste son point de repère, même si leur vie est sans grande fantaisie. Dans son métier, il compte sur ses adjoints, Gomez et les autres, pour l'assister efficacement. Ce soir-là, le septuagénaire Jimmy Henderson est assassiné et mutilé, dans son propre pick-up, au cœur de la ville. Le shérif McCarthy le connaissait depuis longtemps. Henderson, un vieux bonhomme sans histoire ? C'était sans doute moins vrai ces derniers temps.
En effet, Laura Henderson, la fille de la victime, s'est acoquinée avec Alexander Marshall, un repris de justice. “Ils se sont d'abord associés pour revendre de la came, puis ils ont habité ensemble. Alexander a rapidement eu des vues sur la fille de Laura, Julia.” Quand on sait quel fut le parcours délinquant de Marshall, et si on y ajoute une possible affaire de mœurs autour de la jeune Julia, il apparaît comme le principal suspect du meurtre. Peut-être un coupable trop idéal ? Wilde, un flic venu de l'extérieur pour renforcer l'équipe du shérif, estime que Marshall n'a pas le profil dans ce cas. D'autant que le meurtrier n'a rien volé. Au fond, McCarthy n'est pas si sûr, non plus. Avec Gomez, il interroge un cousin de Henderson. La seule piste plausible serait un club de fitness, base d'un trafic de drogue.
Franck dirige en dilettante une agence de détectives new-yorkaise. Il est de passage à Watertown. Adepte de Joséphin Peladan (1858-1918), Franck est un dandy cocaïnomane affichant des opinions anti-conformistes, pouvant surprendre la population d'une telle ville. Installé au Grand Hôtel des Congrès, il s'intéresse bientôt au meurtre étrange de Jimmy Henderson. Ayant intercepté des infos en surveillant le shérif, il se penche sur le dossier d'un ancien acteur de films pornographiques. Celui-ci dirige un club de fitness, où passe de la drogue. Club dont le propriétaire n'est autre que Lance Le Carré, un homme d'affaire que Franck a approché. S'il organise des réceptions mondaines, c'est surtout un puissant caïd mafieux. Le détective a coutume de ne pas sous-estimer ce genre de personnes.
Après avoir croisé un romancier à succès, auteur de polars noirs à grands tirages, Franck se rend au Jaguar Club, pivot du trafic de drogue à Watertown. Il y retrouve Lyllian, un flûtiste sans doute talentueux, qui a grand tort d'abuser des drogues de synthèse. De leur côté, les policiers avancent dans l'enquête. Pour aider sa petite-fille Julia à s'en sortir, il est possible que Jimmy Henderson ait commis des délits…
Lorsqu'un auteur non-Américain situe un roman sur le territoire des États-Unis, le lecteur est en droit d'éprouver un certain scepticisme. Certes, on peut s'être documenté sur les lieux évoqués : souvenons-nous qu'après les attentats du marathon de Boston, en avril 2013, c'est à Watertown que s'est achevée la course-poursuite avec les deux terroristes. Toutefois, un polar n'est pas seulement géographique, et un contexte superficiel ne suffit pas. Dans ces conditions, Quentin Mouron va-t-il nous convaincre ? La réponse est "oui". D'abord, l'intrigue proprement dite n'est pas réduite à une enquête ordinaire, balisée. Et ce que l'on retient surtout, c'est la tonalité de cette histoire, son écriture.
“Sacrée Linda ! pense [le shérif] McCarthy. Pour être folle, elle n'en est pas moins attachante. Elle peut fulminer, récriminer, se braquer contre la terre entière, elle ne fera jamais de mal à une mouche. Au fond, elle fait ce qu'elle peut.” Si, d'un côté, nous avons un policier professionnel et attentif, menant une existence plutôt routinière, c'est une galerie de personnages décalés que nous découvrons, d'autre part. À commencer par le singulier détective Franck, influencé par le sâr Péladan. Il explique à son assistante : “Cette affaire n'est motivée par rien de raisonnable, ni même de passionnel. Je vous l'ai dit : il ne s'agit que de curiosité… Que ferais-je à New York ? Éventrer des poubelles ? Brasser des ordures ménagères ? Non merci ! Il ne s'agit pas d'une "affaire". Considérez cela comme un divertissement, un caprice. Et de la première importance.” On retiendra aussi quelques portraits, dont ceux du repris de justice et du romancier best-seller. Voilà un polar noir différent, d'une belle originalité.
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