Pour les amateurs de suspense de qualité supérieure, Pocket propose dès ce mois de juin deux remarquables nouveautés en format poche.
John Katzenbach : "Le loup"
Âgé de soixante-quatre ans, ce new-yorkais a connu un certain succès en publiant quatre thrillers. Alors qu'il craint que sa santé décline, il veut connaître un ultime moment de gloire. Commettre une série de crimes parfaits, d'anthologie, ça ne s'improvise pas. Il est marié à la secrétaire du directeur d'un collège privé. Son épouse se mésestime elle-même, restant admirative de son héros écrivain. Ce dernier va s'inspirer du Petit Chaperon Rouge pour son chef d'œuvre criminel, un conte plus sanglant à l'origine. Il se baptise le grand Méchant Loup. Il adresse des messages menaçants à trois femmes rousses, concluant par ce mots : “Et comme la petite fille du conte, vous avez été choisies pour mourir.”
Les trois victimes désignées ? La Rousse n°1 est le Dr Karen Jayson, quinquagénaire qui exerce dans le Massachusetts. Elle vit seule avec ses deux chats. Pleine de compassion pour les malades, dans sa vie privée, elle aime jouer les humoristes sur scène. La Rousse n°2 est Sarah Locksley, trente-trois ans. Depuis un an, elle a abandonné son métier d'institutrice après un drame familial. Dépressive, elle s'abrutit d'un mélange d'alcool et de médicaments, vivant nue chez elle dans le désordre. La Rousse n°3 est Jordan Ellis, dix-sept ans, étudiante dans une école privée préparant à l'université. Depuis le divorce de ses parents, elle n'est plus si bonne élève. À cause de ses cheveux roux, elle se sent aussi à l'écart des autres. C'est une excellente sportive, ce qui plaît au Grand Méchant Loup. Rédigeant le suivi de son projet, l'écrivain sait déjà que ses cibles n'ont pas de solutions concrètes pour réagir. Qui survivra à son jeu meurtrier ?...
Peu de commentaires à émettre sur un tel suspense signé John Katzenbach, Grand prix de Littérature policière 2004 pour “L'analyste” (réédité aux Presses de la Cité). Ce romancier gère son intrigue avec une rare maestria. S'il s'agissait simplement d'un “jeu du chat et des souris (rousses)”, ce serait déjà très réussi. Un tueur en série qui s'efforce de se montrer plus astucieux que la moyenne, un postulat classique souvent bienvenu. L'auteur va plus loin, car il met en scène un écrivain, censé mener la danse. Ce personnage fait part aux lecteurs de toute sa conception de ce qu'il va illustrer, de sa psychologie et de ce qu'il pense (à tort plus qu'à raison) être celle de ses futures victimes. C'est là que Katzenbach s'avère magistral. Ces passages “mise au point” ne sont jamais ennuyeux. Ces réflexions sur son métier ne ralentissent nullement le récit. Une histoire à dévorer, si le Grand Méchant Loup des contes d'antan nous en laisse un morceau.
Lauren Beukes : "Les lumineuses"
Chicago, novembre 1931. Auteur d'une altercation mortelle, Harper Curtis prend la fuite. Il est pourchassé dans Grant Park, où se sont réfugiés les miséreux, victimes de la Grande Dépression. Frôlant le lynchage, il est seulement blessé au pied. Harper réussit à se faire soigner au Mercy Hospital. À sa sortie, il est comme guidé vers un quartier très pauvre de la ville. Une maison, dont il a dérobé la clé à une victime, semble l'attendre. Le cadavre fraîchement assassiné d'un certain Bartek, peut-être le propriétaire du lieu, gît dans cette maison. Harper y trouve aussi une valise pleine de dollars en gros billets, un vrai pactole. Il découvre là une chambre étrange, tel un mausolée dédié à la mort de plusieurs femmes. Face à ces noms féminins qu'il a tracés, aux objets hétéroclites qu'il doit laisser près des corps, une pulsion habite le violent Harper. C'est la Maison qui lui réclame de les tuer.
Après La Luciole, danseuse de cabaret, les victimes à venir ne vivent pas uniquement à son époque. Grâce à la Maison, il voyage à volonté dans le temps. Quand il ouvre la porte, c'est sur l'année qu'il a choisi entre 1929 et 1993. Ce qui lui permet d'approcher d'abord ces filles, plus ou moins longtemps avant le moment où il a décidé de les assassiner. Arrêter ce jeu sinistre, Harper y songe brièvement. Fasciné par ses meurtriers voyages, magnétisé par les objets qu'il dépose près des cadavres, Harper continue jusqu'à ce que son hypothétique liste soit close… Née en août 1968, Kirby Mazrachi est élevée seule par sa mère Rachel. Se pensant artiste, un peu droguée, Rachel a trop souvent l'esprit absent pour s'avérer maternelle. C'est sans doute ce qui accélère la maturité de Kirby. Dès 1974, Harper va venir à la rencontre de cette victime désignée, mais il est bien trop tôt pour la tuer. Ce n'est que le 23 mars 1989 qu'il va la poignarder, lors d'une promenade avec son chien. Gravement blessée, sa force de caractère aide Kirby à survivre…
Un magnifique suspense, aussi surprenant qu'intelligent. Ce pourrait être l'histoire d'un tueur en série peu différent de la moyenne. Mais les raisons de sa violence obsessionnelle sont moins ordinaires. La manière dont il commet ses meurtres est carrément étonnante. Tels beaucoup de serial killers, Harper est itinérant. Ce n'est pas géographiquement qu'il voyage, c'est dans le temps. Un postulat issu de la littérature Fantastique mais on ne quitte pourtant pas le domaine du polar, car c'est bien le crime qui reste le moteur de ce roman. Traquer un assassin aussi spécial, ça suppose déjà une multitude de situations complexes pour la jeune Kirby. Pour originale qu'elle soit, l'idée initiale ne suffirait peut-être pas à convaincre. L'auteure va nettement plus loin. Dans la construction extrêmement habile du récit, dont Harper et Kirby constituent les deux lignes principales. Surtout, c'est un vrai portrait de l'Amérique qui est ici dessiné, à travers l'évolution de Chicago et ses aspects sociologiques abordés en toile de fond. Sans ces subtiles précisions qui ne nuisent nullement au tempo du roman, l'intrigue manquerait de véracité. Digne d'un Stephen King au mieux de sa forme, un “suspense riche”, un polar supérieur, magnifiquement maîtrisé.