Dans tous les polars, on croise de drôles d’oiseaux, quelques crédules pigeons, plus souvent des rapaces que des blanches colombes. Les détectives y laissent souvent des plumes, tandis que des volatiles appelés poulets n’ont pas toujours le beau rôle. D’habitude, le corbeau est celui qui expédie des dénonciations anonymes. La noirceur de son plumage, ses croassements narquois, et son goût des déchets parfois sanglants, en font un oiseau patibulaire, morbide autant que néfaste. Sébastien Rutès réhabilite l’image trop sinistre du corbeau dans ce roman, disponible en poche dès le 6 mai 2015 chez Babel Noir. Oser l’inventivité, tenter la différence, voilà une expérience trop rare chez la plupart des auteurs. Bravo à ce romancier qui imagine une intrigue excentrique, inspirée. Soyons curieux des formes singulières, ce qu'il nous propose ici.
Karka est un corbeau freux parisien vivant dans le Parc Montsouris. Il habite au dernier étage de son arbre, un févier d’Amérique, cherchant peu de contact avec les oiseaux des alentours. Les seuls échos du monde extérieur lui sont rapportés par ses amies les mouettes voyageuses. Karka apprécie en particulier l’esprit d’aventure de la jeune mouette Iaha, la nièce de la caractérielle Ierk. Le vieux corbeau préfère aujourd’hui sa solitude. Il fut autrefois un véritable bourlingueur, vie trépidante qu’il regrette. Une blessure à l’aile, qui le fait encore souffrir, l’obligea finalement à s’installer à Paris : “Jusqu’à mon accident, je n’y venais que rarement. Mes migrations occasionnelles ne survolaient pas la capitale, et ce n’était qu’à l’appel de Krarok que je quittais l’abri des futaies alpines.”
Logeant dans la charpente de Notre-Dame, Krarok est le maître du Conseil des animaux de Paris. Karka et lui sont amis de longue date. Karka s’est éloigné de cette assemblée, car il n’a guère de sympathie pour le Grand Duc Bubo. Des faits inquiétants se déroulant depuis peu au Bois de Boulogne, Krarok charge son ami d’une mission. On signale des disparitions, sans que l’on retrouve les corps. On soupçonne des lions d’avoir pris possession du Bois. Ce qui ne correspond à aucune répartition des zones animalières parisiennes prévues par le Conseil. Pour éclaircir l’affaire, les vieilles méthodes de Karka seront probablement les plus efficaces.
Il interroge Léon, le vieux lion du Jardin des Plantes. Karka apprend ainsi la disparition suspecte de Pfurr, le chat du gardien. Il existe certainement un lien avec l’affaire des lions. Entre la jeune corneille mantelée qui s’est installée en voisine, et la tourterelle émissaire du Conseil, Karka se sent flatté que de belles oiselles s’intéressent à lui. L’hiver arrivant sur Paris, l’enquête de Karka risque de s’enliser dans le silence et le froid. Mais les sourdes tensions qui règnent entre animaux vont pousser le corbeaux chevronné à réagir…