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28 mai 2015 4 28 /05 /mai /2015 04:55

En 1919, La Nouvelle Orléans est une grande ville comptant plus de 380.000 habitants. Malgré une géographie particulière et des ouragans ponctuels, sa prospérité vient de ses différences avec tant d'autres villes américaines, plus puritaines. Multiculturelle, "The big easy" tolère tous les excès permettant de faire la fête, même si le quartier de Storyville n'est plus autant un lieu de débauche. Si la forte population noire subit comme ailleurs la ségrégation, c'est elle qui donne sa tonalité musicale à cette agglomération, grâce au jazz et au blues. À l'image de ce jeune cornettiste de dix-huit ans, qui se nomme encore Lewis Armstrong. La mafia italienne est très présente à La Nouvelle Orléans. Ses membres sont des Siciliens, tous venus de Monreale, ce qui limite les guerres de clans. Gangrenée par la corruption, la police locale a une réputation exécrable.

Cette année-là, un criminel vite surnommé "le Tueur à la hache" assassine sauvagement depuis quelques semaines des couples d'épiciers d'origine italienne. Sur les lieux, il laisse à chaque fois une carte de tarot, images de luxe peut-être françaises, pas de la fabrication courante. C'est le policier Michael Talbot qu'on charge d'enquêter sur ce meurtrier qui va bientôt récidiver en tuant le couple Schneider, dont lui est avocat. Michael Talbot est marié avec Annette, ils ont deux enfants. Un mariage clandestin, car son épouse est Noire. Il sait que sa mission est une sorte de piège. S'il est très mal vu, c'est parce qu'il dénonça un de ses collègues, Luca d'Andrea. Cet inspecteur participait à de nombreux trafics. Il vient de sortir de prison, après une détention de cinq années.

Ida Davis est une jeune métisse de dix-neuf ans. Amie de toujours de Lewis Armstrong, elle n'ignore pas les tourments familiaux de celui-ci, même s'il conserve le moral grâce à la musique. Ida Davis est secrétaire de l'agence Pinkerton de La Nouvelle Orléans, dirigée par le flemmard Lefebvre. Pour prouver sa valeur de détective, Ida entreprend d'enquêter sur le "Tueur à la hache". Son ami Lewis va souvent l'accompagner, car la ville n'est pas si sûre. Ils interrogent d'abord Mme Hawkes, infirmière des premières victimes. Ida pense que cette série de meurtres masquent un trafic de fausse monnaie. Prenant en filature un jeune voleur malingre, Ida et Lewis aperçoivent son boss, Cajun massif à la barbe rousse. Il semble s'agir d'un nommé Morval, propriétaire d'une usine.

Côté police, Michael Talbot ne néglige pas les tuyaux du journaliste John Riley, qui lui conseille de rechercher un certain Lombardi. Kerry Behan est un jeune agent arrivé depuis peu de son Irlande natale. Il est conscient que Michael est mal aimé des autres, mais il va grandement l'aider. En 1911, le policier Jake Hatener traita une affaire ressemblant fort à celle du "Tueur à la hache", mais ce flic désagréable s'est bien gardé d'en parler à Michael. Suivant la consigne de leur supérieur, Michael et Kerry se renseignent sur des repris de justice supposés cinglés. Pourtant, c'est plutôt vers "la Main Noire" des Siciliens, que les deux policiers espèrent trouver des indices. Les mafieux prétendent que l'assassin ne peut qu'être un Noir, ce qui est très improbable pour Michael.

Mandaté par Don Carlo, le vieux caïd de la mafia, l'ex-policier Luca d'Andrea mène aussi son enquête. Un moyen de financer son retour en Sicile. Il va même jusque dans le bayou, contactant la prêtresse vaudoue Simone, sur le conseil d'un vieil ami Haïtien. Quand il est arrêté pour avoir cambriolé le bureau d'une des victimes du criminel, Luca d'Andrea propose à Michael Talbot de travailler de façon complémentaire. Quand John Riley publie une lettre écrite par le "Tueur à la hache", la panique gagne jusqu'à la mairie de La Nouvelle Orléans. D'autant que la ville est menacée par l'arrivée d'un nouvel ouragan…

Ray Celestin : Carnaval (Le Cherche Midi, 2015) ─ Coup de cœur ─

Pas de hasard si ce suspense a été récompensé en Grande-Bretagne par le Prix John Creasey du premier roman, par la Crime Watchers Association. L'intrigue s'inspire du cas réel d'un tueur en série signant Axeman qui, tel Jack l’Éventreur, cessa brutalement ses crimes (en octobre 1919) et ne fut jamais identifié. L'auteur reproduit la vraie lettre que ce meurtrier adressa à la presse. Cette fiction ne prétend pas reconstituer l'affaire telle qu'elle se déroula. Ray Celestin crée des personnages qui, selon des motivations diverses, enquêtent afin d'arrêter le coupable. Si le policier intègre Talbot et son assistant Kerry ont un rôle officiel, la mafia missionne un ancien flic pour mener d'autres investigations.

Il faut avouer que les deux plus attachants protagonistes sont Ida Davis, la téméraire secrétaire de chez Pinkerton, prête à sillonner la ville du French Quarter jusqu'aux docks, en passant par les honky tonks de Back'O Town et autres quartiers typiques, avec son ami musicien. C'est un Louis Armstrong jeune, à l'air encore poupin (“Son visage rond d'un noir très sombre était l'écrin idéal pour son sourire si reconnaissable”), mais qui a déjà traversé quelques épreuves, qui deviendra quelques années plus tard un maître du jazz. On frémit avec ce couple d'amis, déterminé et sans trop de complexes, mais plutôt inexpérimenté. Ils seront directement en danger : “Ida hurla et Lewis la dévisagea avec de la panique dans le regard. L'une des brutes, le plus petit, sortit une matraque et assomma Lewis.”

Enquête criminelle, certes. Néanmoins, c'est le contexte de La Nouvelle Orléans qui offre sa force à ce roman. Les décors sont restitués avec soin, sans toutefois s’appesantir. La mythologie de cette ville cosmopolite est évoquée. Non sans humour, lorsqu'est cité un héros local, Jean Lafitte : “Sans ce pirate on serait Anglais, et on parlerait leur langue.” S'il est question de culte vaudou, la prêtresse Simone est surtout guérisseuse, soignant même les pauvres filles après avortement. Bien que majoritaires, les Noirs ne peuvent pas grand choses contre le racisme ambiant, ni contre les lois. Mais à l'occasion d'obsèques, ou sur les bateaux à vapeurs du Mississippi, les meilleurs joueurs de blues et de jazz s'expriment, améliorant tant soit peu leur condition sociale.

À la veille de la Prohibition (qui entra en vigueur en janvier 1920), on consomme ici de l'absinthe, pourtant déjà interdite. La Nouvelle Orléans étant un port important, tous les trafics s'y développent. Bien entendu, tout en restant assez discrète, la mafia pèse sur l'économie de la ville. Les conditions climatiques ont aussi un sens, car la pluie drue est annonciatrice d'une tempête féroce. On le constate, l'aspect meurtrier n'est pas le seul atout favorable de ce remarquable suspense. Quant à découvrir l'identité du "Tueur à la hache", on verra bien si nos enquêteurs y parviennent. Un roman de qualité supérieure.

La Nouvelle Orléans en 1919 ( coll.Richard Campanella : www.richcampanella.com )

La Nouvelle Orléans en 1919 ( coll.Richard Campanella : www.richcampanella.com )

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commentaires

R
Encore une fois, une visite chez toi et j'en sors frustré !!! ;-)<br /> Suite à la lecture de ta chronique, je me précipite sur le site de ma librairie préférée et je me rends compte que le roman n'est pas encore arrivé au Québec.<br /> En plus de me coûter cher en achat de livres, tu alimentes mes frustrations de lecteur québécois qui reçoit toujours les nouveautés 6 ou 8 semaines après leur sortie en France.<br /> Mais, je t'aime bien quand même !<br /> Amitiés
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C
Salut Richard<br /> Quelquefois, je chronique des romans à peine sortis en librairie (ce sera le cas demain dimanche). Celui-ci est disponible depuis une quinzaine de jours chez nous, c'est dire que je ne me suis pas pressé. Vu son succès partout dans le monde, il ne devrait pas tarder à s'afficher au Québec. Frustrant, c'est certain ! J'en suis désolé pour toi et quelques-uns de tes compatriotes qui consultent Action-Suspense.<br /> Je t'embrasse fraternellement, mon cher Richard.
J
Bonjour Claude,<br /> Voilà qui donne particulièrement envie. Des personnages fictifs qui en croisent d'autres bien réels, une histoire inspirée d'un fait divers, ça pourrait faire penser à un grand nombre de bouquins plutôt réussis (je lis en ce moment le dernier Ellroy qui pourrait en faire partie). Et puis, La Nouvelle Orléans, est un lieu particulièrement propice à la fiction polardeuse, dirait-on. Norbert cite David Fulmer, quant à moi, j'ai du mal à la dissocier de Lew Griffin.<br /> Tant pis pour le porte-monnaie, merci pour tes chroniques de lectures !<br /> Amitiés.
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C
Eh oui, cher Jérôme, le héros de James Sallis nous a entraînés lui aussi dans cette ville, dans cette ambiance devrais-je dire. <br /> Certes, nous ne sommes plus en 1919, mais c'est à se demander si La Nouvelle Orléans a tellement changé, au fil des décennies. Et puis, atterrir à l'aéroport Louis Armstrong quand on va là-bas, quel symbole ! <br /> Je doute fort que les lecteurs soient déçus par le présent roman.<br /> Amitiés.
P
Salut Claude, j'avais lu un billet chez les anciennes Unwalkers (http://psychedeslivres.com/2015/05/13/carnaval-de-ray-celestin-le-cherche-midi-coup-de-coeur/) et donc je l'avais acheté. Bon, je progresse, j'achète avant que tu chroniques, mais je n'arrive pas à lire avant toi ! Tu lis trop vite ! Sérieusement, ton blog est une mine d'or ... et une cause de ruine ! Merci ! Amitiés
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C
Salut Pierre<br /> Je n'avais pas vu que Sweetie avait chroniqué, avec Coup de cœur aussi, ce roman. "Les grands esprits se rencontrent". Je ne l'ai pas lu tellement vite, à vrai dire. Mais j'avoue que c'est une histoire qui m'a plus qu'attiré. La Nouvelle Orléans, ville fascinante, n'y est pas pour rien. <br /> Amitiés.
N
Bonjour Claude,<br /> Je suis particulièrement ravi de découvrir ce matin ton coup de coeur pour ce roman que j'avais remarqué dès le mois dernier, et que je viens de me procurer pas plus tard que... hier soir. Tous les ingrédients y semblent réunis pour passer un excellent moment. Cela me rappelle d'ailleurs une trilogie publiée par Rivages, celle de David Fulmer ("Courir après le diable", "Jass", "Rampart Streeet") avec un détective créole qui enquête lui aussi dans la Nouvelle-orléans du début du XXe siècle ; série et auteur qu'on m'a d'ailleurs chaudement recommandés lorsque j'ai manifesté mon intérêt pour ce roman. Du coup, comme seul le premier volume est paru à ce jour en poche chez Rivages/Noir, je me le suis pris aussi. Bref, dans les deux cas, de belles heures de lecture en perspective !<br /> Amitiés.<br /> PS : Ouf ! Je suis largement soulagé de te voir chroniquer à nouveau des romans étrangers ! ;)
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C
Bonjour Norbert<br /> Franchement, je suis sûr que "Carnaval" t'apportera un sacré bon moment de lecture. Car, outre ce petit résumé, c'est une intrigue riche et séduisante. Je me suis régalé.<br /> Je ne renonce certes pas aux auteurs étrangers (je suis en train de lire un roman allemand) et j'ai chroniqué Viveca Sten ou Edogawa Ranpo récemment (en citant la jeune traductrice). Mais c'est aussi, tu le sais bien, grâce à la diversité de lectures que je suis en mesure de lire "intensément". Donc, certains auteurs anglais ou américains ne sont pas forcément prioritaires.<br /> Amitiés.

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