Parmi les suspenses psychologiques disponibles en format poche, voici deux passionnants romans à retenir pour ce printemps 2015.
Thomas H.Cook : Le dernier message de Sandrine Madison (Éd.Points)
Coburn est une petite ville de Géorgie, à environ cent de kilomètres d'Atlanta. Les Madison forment un couple d'universitaires quadragénaires. Ils sont les parents d'une fille adulte, Alexandria. La population les considère comme des privilégiés. D'autant que Sam Madison peut sembler méprisants aux yeux de certains. Lorsque son épouse Sandrine se suicide, à l'âge de quarante-six ans, le professeur Madison apparaît rapidement suspect. Il est vrai qu'il a accueilli sans émotion la policière venue constater le décès, cette nuit-là. L'agente nota le capharnaüm régnant dans la chambre de Sandrine, ce qui lui parut peu naturel. L'avocat de Madison montrera que la policière avait déjà connu des cas de désordres similaires, ce qui suggère qu'elle avait des préjugés contre l'enseignant. Elle en fit part à l'inspecteur Ray Alabrandi, qui déclencha l'enquête. À charge, visiblement.
Sur son lit de mort, Sandrine Madison a laissé un ultime message dans un livre d'histoire, sa matière universitaire. Phrases nébuleuses faisant référence à Cléopâtre, claires dans le seul esprit de Sandrine. Un texte qui ne fait aucune allusion au suicide, toutefois. Sam n'a pas tardé à perdre son emploi à l'université, logique dans une telle ville. À l'heure du procès, alors que l'universitaire comparaît libre, son avocat juif insiste pour qu'il masque son habituelle allure ironique. Il devra discrètement rappeler à l'ordre Sam plusieurs fois. Loin d'être sûre de l'innocence de son père, sa fille Alexandria est présente aux audiences et loge chez eux. Jenna, la sœur unique de Sandrine, fera un bref passage, sans montrer tellement de sympathie à Sam. Celui-ci ne peut nier que leur couple ne fonctionnait plus. Ce qui n'excuse pas vraiment la relation intime qu'il eut avec April Blankenship, un épisode compromettant. Les témoignages négatifs ne plaident pas en sa faveur...
Thomas H.Cook fait partie de ces écrivains qui ne choisissent jamais la facilité. Coupable ou innocent, ce n'est pas strictement la question ici. Nous sommes tous responsables de notre comportement vis-à-vis de notre entourage, et un couple qui dure n'échappe pas à ce principe. De leur lointain voyage en amoureux autour de la Méditerranée en passant par Albi, jusqu'au suicide supposé de son épouse, Sam va se remémorer les hauts et les bas de leur vie commune. On appréciera la souplesse narrative et l'élégance du style de Thomas H.Cook. Par exemple, quand dans une même scène se côtoient les propos d'un témoin et le souvenir que Sam en garde. Images immédiates de la procédure en cours, doutes plus ou moins légitimes, réflexions intérieures de l'accusé, regard des autres… Un roman d'une grande richesse et d'un bel humanisme, comme sait en concocter ce remarquable écrivain.
Luc Bossi – Isabelle Polin : Trouvée (Le Livre de Poche)
À Bordeaux, on la connaît sous le nom de Clara Langlois. Âgée de vingt-cinq ans, c'est une étudiante en Histoire de l'Art, et une littéraire. Voilà quatre ans que Clara vit en couple avec François Ménard. Ils habitent une maison isolée, la villa Bahia, dans la presqu'île d'Ambès, à moins d'une demie-heure de Bordeaux. À part leur récent voisin M.Rives et son chien, guère de passage par ici. François est un scientifique, de dix ans plus âgé que Clara. Ce jour-là, elle trouve un message dans ses affaires scolaires : “Je t'ai trouvée”. Dans le même temps, un certain Jean-Marc Royer est assassiné dans la région. Bien que Clara n'ait aucun lien avec lui, elle a parallèlement décrit la scène du meurtre dans un texte, pour ses études. Le chien de M.Rives est retrouvé poignardé sur leur terrasse. L'angoisse qui habite déjà Clara augmente. François s'arrangera pour faire disparaître le cadavre du chien et les traces de sang.
Toutefois, il va devoir révéler à sa compagne que l'univers qu'il a construit autour d'elle est faux. Selon un protocole médical discutable, François a utilisé en grande partie l'hypnose pour gommer son vrai passé, substitué par un autre. En réalité, son père Yvan Royer était médecin à Chartres. Le jour où il fut assassiné, le tueur kidnappa Clara, alors âgée de seize ans. Se faisant appeler “Lycaon”, son ravisseur la séquestra longtemps. Capitaine de gendarmerie à Chartres, Marianne Brunel enquêta sur le meurtre du père de Clara. Ayant compris que Lycaon se manifestait à nouveau, elle rejoint Bordeaux. Malgré les signes qu'elle estime identiques, le commissaire Girard n'est pas convaincu qu'existe un lien. D'autant qu'à l'époque de l'affaire Clara, on suggéra que Marianne était l'amante d'Yvan Royer, qu'elle aurait dû être écartée du dossier. François juge préférable d'isoler sa compagne pour le moment…
Luc Bossi et Isabelle Polin se montrent très habiles, en entrant rapidement dans le vif du sujet, sans tergiversations oiseuses. En présentant une “normalité” apparente, en jouant sur les images sombres restant dans le cerveau de Clara. En portant le soupçon sur tous ceux qui approchent la jeune femme, sans qu'ils semblent si dangereux. Cet équilibre franchement réussi alimente une intrigue qui nous fait bientôt frissonner.