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19 mai 2015 2 19 /05 /mai /2015 04:55

De Jean Jaurès à l'amiral Darlan, des ministres Jean Zay ou Georges Mandel au président Paul Doumer ou à Marx Dormoy, les meurtres de politiciens ne manquent pas au cours de la récente histoire de la France. Patrick Caujolle recense dans cet ouvrage dix-neuf affaires marquantes, faisant le portrait des victimes et racontant le contexte de leur mort. Parmi les cas remontant à plus d'un demi-siècle, soulignons celui de Philippe Henriot.

Il a trente-six ans quand, en 1925, Henriot se lance dans la politique. C'est un orateur brillant, défenseur virulent des "valeurs traditionnelles". Au début de la guerre, il reste prudent. Pourtant, dès 1942, à la radio, Philippe Henriot devient la voix officielle de la politique de Collaboration de Pétain. Ses discours haineux n'expriment que détestation des Juifs et autres ennemis étrangers. Il a grand tort de s'attaquer à Pierre Dac, qui est alors une des voix du Radio-Londres gaulliste. Reproduite in-extenso ici, la réponse intelligente de l'humoriste est un texte puissant, qui mériterait d'être enseigné. Qu'il le sache ou non, Pierre Dac y annonce la future mort de Philippe Henriot. Le politicien le moins respectable de son temps sera assassiné chez lui par une crapule, au nom de la Résistance.

Durant le septennat de Valéry Giscard d'Estaing, trois graves affaires secouèrent l'opinion publique. La première concerne le meurtre de Jean de Broglie, un proche du Président de la République. Issu d'une lignée aristocratique, ce prince est député de l'Eure, et occupe de hautes fonctions à l'Assemblée. Le 24 décembre 1976, Jean de Broglie est abattu à Paris, rue des Dardanelles. Derrière la façade de respectabilité, la victime était impliquée dans une nébuleuse financière, où l'argent de l'Opus Dei servait autant à des transactions privées qu'à des campagnes politiques. Certes, la Justice condamnera les coupables, le policier véreux Guy Simoné, le tueur Gérard Frèche et leurs complices. Pourtant, bien des mystères subsisteront sur des sommes colossales et sur les causes exactes de ce crime.

Le mardi 30 octobre 1979, le cadavre du ministre giscardien Robert Boulin est retrouvé en forêt de Rambouillet, près d'un étang. Maire de la commune girondine de Libourne, il était âgé de cinquante-neuf ans. Il s'agirait d'un suicide, après des accusations mal supportées. Ce possible successeur de Raymond Barre à la fonction de premier ministre est suspecté d'illégalité dans une affaire immobilière à Ramatuelle. Son implication serait relative, en effet, mais Robert Boulin apparaît stressé. La veille de sa mort, il écrit et poste plusieurs lettres dénonçant un complot contre lui, destinées en particulier aux médias. Un suicide s'expliquerait, c'est certain. Néanmoins, une foultitude de détails non vérifiés au cours de l'enquête, et le poids politique de la victime, sèment encore le doute dans ce dossier clos.

Patrick Caujolle : Meurtres au sommet de l’État Français (Le Papillon Rouge Éditeur, 2015)

Le troisième cas est celui de l'ancien ministre Joseph Fontanet, assassiné en février 1980, dans le 16e arrondissement de Paris. Il était penché sur le coffre de son véhicule, quand il fut atteint par une balle de 11.43. Fontanet n'a jamais été un politicien "à scandale", il n'est mouillé dans rien de frauduleux. Tout juste tenta-t-il de lancer un journal, qui a vite coulé. Des revendications farfelues ne peuvent être retenues par la police, même pas celle créant un lien avec l'incendie du lycée Pailleron. Par contre, une bande de truands roulant en 504 sévit au même moment dans Paris. Dirigés par une certaine Thérèse Gulkers, ces malfaiteurs sont traqués après quelques braquages. Si ces bandits sont armés, possédant un 11.43, pas sûr qu'il s'agisse de l'arme qui tua Fontanet. Une affaire mal résolue.

Le 25 février 1994, la députée UDF du Var Yann Piat est abattue par des tueurs à moto. Cette élue âgée de quarante-quatre ans, mère de deux enfants, n'était guère apprécié de son camp politique en PACA. Passations de marchés publics douteux et autres projets immobiliers aux limites de la légalité, Yann Piat militait pour une moralisation dans ces domaines. On navigue là entre le politico-financier et les intérêts mafieux. D'ailleurs, des morts fort suspectes ont précédé et suivi le meurtre de Yann Piat. L'affaire va faire tomber Maurice Arreckx, conseiller général et maire de Toulon. Les investigations vont permettre l'arrestation de Gérard Finale, patron du bar Le Macama, et de quelques-uns de ses amis. Paroles de voyous et secrets d’État rendent difficile une véritable explication des faits.

Sont également retracés les meurtres du préfet Claude Érignac, à Ajaccio en février 1998, et plusieurs autres affaires peut-être oubliées aujourd'hui, scandaleuses à leur époque. C'est avec clarté, autant qu'il est possible dans des dossiers épineux, que Patrick Caujolle revient sur ces meurtres touchant les élites politiques françaises depuis plus d'un siècle. Un livre documentaire très réussi, qui nous rafraîchit utilement la mémoire.

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commentaires

P
Depuis tout à l'heure, j'ai vu ce lien.<br /> C'est court, mais cela vaut le coup d'être lu.<br /> <br /> http://leventphilosophe.blogspot.fr/2012/04/batka.html<br /> <br /> Cordialement
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C
J'ai une pensée pour Chester Himes, un de mes auteurs préférés de romans noirs (sans jeu de mot). Dans sa série publiée à la Série Noire, il ne montre pas toujours les Noirs sous leur meilleure facette. Il écrivit aussi "Une affaire de viol", qu'il faut absolument lire. Histoire d'une femme blanche qui, en France, aurait été violée par des Noirs après saoulerie. La subtilité est que Chester Himes défend les deux versions possibles : oui, il se peut que la femme ait été complice, consentante. Oui, il se peut que ces Noirs l'aient forcée. <br /> Dans le lien que vous citez, il est dit (pour résumer un peu vite) que Jean Seberg oscilla entre son militantisme et les codes américains. Probable, oui. J'ai moi-même connu quelques Américains très tolérants (anti peine de mort, antiracistes) partisans de sanctions fortes (25 à 30 ans de prison, alors que nous dirions 5 à 10 ans). C'est ainsi, certaines valeurs varient selon les peuples, les codes. <br /> <br /> Sans rapport, on vient de découvrir dans ma petite ville, un cadavre en état de décomposition sur un terrain de sport déclassé. La gendarmerie enquête (j'ai croisé ce matin un de leurs véhicules avec "gyrophare pressé"). Bizarre, car ce terrain sert d'aire de jeux à des mômes, et presque chaque semaine s'y tiennent des animations, genre "troc et puces". Affaire à suivre, comme on dit. <br /> Amitiés.
P
Paul Winfield, pas Carl Weathers, dans le rôle du dresseur noir.
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P
M. Le Nocher,<br /> <br /> A propos de Romain Gary, vous connaissez sans doute, quoique ce soit loin d'être parmi ses livres les plus connus, " Chien-Blanc " ?<br /> Romain Gary s'inspire de sa propre expérience. Quand il était consul de France à Los Angeles, vers 1960, lui et sa compagne ( je ne sais plus si c'était Jean Seberg à l'époque, je crois que oui ) recueillirent un chien a priori très gentil, tout blanc. Gary l'appela Batka, qui veut dire " petit père " en russe, la première ou deuxième langue de Gary ( Juif né en 1914 à Vilnius en Lithuanie alors partie de l'empire russe ).<br /> Pourtant, il apparut bientôt que Batka attaquait toute personne de race noire qu'il voyait, y compris quand c'était à la télévision. Gary parvint à découvrir l'explication : Batka était un " chien blanc " venant de l'Alabama, Etat du Sud. Les " chiens blancs " avaient à l'origine été élevés à l'époque de l'esclavage afin de traquer les esclaves noirs en fuite. Mais après l'abolition de l'esclavage par Lincoln pendant la guerre de Sécession, des suprémacistes blancs - surtout mais pas seulement dans le Sud - continuèrent à élever des chiens blancs pour attaquer les Noirs, les dressant spécialement à cet effet. Ce qui s'inscrivait dans la ligne des entreprises de persécution des Noirs, par le Ku Klux Klan ou les législations d'Etat, les Jim Crow Laws.<br /> Romain Gary tenta avec plus ou moins de succès de faire désapprendre à Batka, avec l'aide d'un dresseur de chiens, cette attitude intégrée d'attaquer les Noirs.<br /> Il écrivit aussi le roman " Chien-Blanc " ( paru en 1970 et disponible chez Gallimard collection Folio ) qui ne raconte pas sa vraie expérience mais s'en inspire.<br /> Ce livre fut adapté au cinéma sous le titre " Dressé pour tuer " ( 1982 ) par le cinéaste Samuel Fuller surtout connu pour ses films de guerre. Un bon film, mais un échec commercial et qui marqua le début de la fin de la carrière de Fuller. Avec dans le rôle du dresseur de chiens l'acteur noir Carl Weathers, ancien boxeur professionnel et qu'on remarqua dans les films " Rocky " aux côtés de Sylvester Stallone.<br /> <br /> http://fr.wikipedia.org/wiki/Chien_blanc<br /> <br /> http://fr.wikipedia.org/wiki/Dress%C3%A9_pour_tuer<br /> <br /> Récemment, ce qui m'a fait repenser au livre de Romain Gary et au film de Samuel Fuller, c'est d'apprendre la sortie du roman jeunesse suivant.<br /> Mon chien est raciste<br /> Audren<br /> Illustrations de Clément Oubrerie<br /> Albin Michel Jeunesse, avril 2015<br /> <br /> http://www.parislibrairies.fr/detaillivre.php?gencod=9782226315557<br /> <br /> J'ai acheté ce livre. Il n'y est pas indiqué si l'auteur s'est inspiré de Romain Gary. Peut-être, peut-être pas, le sujet est original, aussi bien en littérature jeunesse qu'en littérature générale, mais on peut y penser sans forcément connaître ce livre de Gary qui encore une fois est l'un des moins connus.<br /> <br /> Cordialement
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C
Bonjour Philippe<br /> Je n'avais pas le souvenir de ce roman-là de Romain Gary. <br /> Sans aller jusqu'à parler de plagiat, le sujet de "Mon chien est raciste" apparaît très similaire à l'histoire vécue par Romain Gary, quand même. <br /> Quant à l'excellent Samuel Fuller, c'était un militant, ses opinions politiques ne lui accordant pas que des amis dans le cinéma américain.<br /> Amitiés.
P
" Le patriotisme, c'est l'amour des siens. Le nationalisme, c'est la haine des autres. "<br /> Romain Rolland.<br /> ( Sauf erreur, c'est peut-être d'un de ses contemporains. )<br /> Je ne l'ai pas lu et j'ignore duquel de ses livres est tirée cette citation, que j'avais entendue autrefois dans un film, mais en soi elle est vraie.<br /> <br /> Cordialement
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C
Vérification faite, c'est de Romain Gary : "Le patriotisme, c'est d'abord l'amour des siens ; le nationalisme, c'est d'abord la haine des autres." Pour Sganarelle (1965), Romain Gary, éd. Gallimard, 1965, p. 371<br /> <br /> Et c'est une vérité.
P
Bonjour M. Le Nocher, Bernieshoot,<br /> <br /> J'invite à voir ou revoir les films ou téléfilms suivants sur certaines de ces affaires.<br /> Le téléfilm où le regretté Jacques Villeret décédé en 2005 jouait Georges Mandel. D'après la biographie par Nicolas Sarkozy alors Ministre de l'Intérieur.<br /> Le téléfilm " Crime d'Etat " , sorti récemment en DVD, où François Berléand interprète Robert Boulin.<br /> Le film sur Yann Piat jouée par Karin Viard, aussi en DVD.<br /> Le téléfilm diffusé fin 2014 ou début 2015 sur France 3 sur Pierre Dac, joué par Jean-Yves Lafesse : Radio-Londres 1940-1944.<br /> On y entend dans leur intégralité les textes dont vous parlez. Celui d'Henriot, attaquant les origines juives de Pierre Dac, né André Isaac en 1893 à Châlons-sur-Saône. Et la réponse de Dac, invitant à rendre hommage à son frère mort pour la France au combat en Champagne en 1915 et qui repose au cimetière près de la rue Froidevaux à Paris 14ème. Et prédisant que sur la tombe d'Henriot il y aura l'épitaphe : " Mort pour Hitler. Fusillé par les Français. "<br /> Henriot étant interprété par le comédien Didier Flamand.<br /> <br /> Cordialement
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C
A propos de nom de communes, celle de Bruay-sur-Artois connut jadis une affaire scandaleuse. Cette ville n'existe plus aujourd'hui. La commune de Bruay-la-Buissière est née en 1987 de la fusion des communes de Bruay-en-Artois et Labuissière.<br /> Amitiés.
C
Bonjour Philippe<br /> On peut entendre Pierre Dac relisant ce "Bagatelle sur un tombeau" ici :<br /> http://www.dailymotion.com/video/xbef1i_pierre-dac-bagatelle-sur-un-tombeau_fun<br /> C'est un texte auquel je suis très attaché, qui m'émeut plus que tout, j'ai déjà eu l'occasion de le dire. Le patriotisme, le vrai, pas celui des héritiers actuels de Philippe Henriot, est une valeur que je respecte. A ne pas confondre avec le nationalisme, ça va sans dire, ça va mieux en le disant.<br /> Amitiés.
P
Pas à Chalons-sur-Saône, mais à Chalons-sur-Marne, aujourd'hui Chalons-en-Champagne.<br /> Relu à l'instant sur Wiki.
B
J'apprécie les romans documentaires qui donnent un nouveau regard à des faits dd'actualités qui avaient fait la une de l'actualité
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C
Point de fiction, P.Caujolle revient sur les faits, avec ce langage fluide qui éclaircit ces crimes pas si lointains pour certains.

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