Anna, âgée aujourd'hui de trente-six, est mariée à Pierre. Avec leur fils Youri, le couple est de retour pour les vacances dans la maison corse de la famille d'Anna, à Acquargento. Il y a vingt ans que plus personne de la famille Jorand n'a y mis les pieds, laissant la demeure à l'abandon. Anna se remémore les séjours qu'elle fit dans cette maison, entre les âges de neuf ans et seize ans, avec ses parents Rosa et Gilles. Enfant, elle était fière de venir dans la maison au cœur d'un village déserté. Adolescente, elle s'y ennuyait ferme malgré la plage lui offrant, en contrebas, quelques plaisirs. Elle se créa un espace personnel qu'elle baptisa le Cosmos. Se sentant telle Anna Brontë, elle y ruminait ses goûts pour le rock tendance Nick Cave ou Christian Death, pour l'art obscur et les films connus d'elle seule.
En ce mois de juillet 1989, Anna réalisait qu'avoir seize ans, c'est être sortie de l'époque enfantine. Elle éprouvait des envies de découvertes, de villes étrangères, trouvant pesant ce séjour-contrainte avec Gilles et Rosa. Malaise intérieur, silence du village, même plage, rien d'excitant. C'est alors qu'arriva sa sœur Hélène, et son bébé d'un an, Léa. Il existait une large différence de génération, donc d'état d'esprit, entre elle et son aînée de douze années. Infirmière blonde aux yeux bleus, Hélène se débrouillait sans compagnon pour élever sa fille. Quant au reste, Anna la trouvait d'une futilité exaspérante. Une cagole, qu'elle finirait par considérer comme une véritable connasse. Hélène ne vit en elle qu'une gamine mal dégrossie, Rosa se tenant à une neutralité plutôt favorable à l'aînée.
Anna fut sous le charme de la petite Léa, moins fascinée que les autres : “Mais vous ne parvenez pas, comme font vos parents, à vous extasier bruyamment sur le répugnant barbouillis des repos, les borborygmes bestiaux, les sourires édentés. Tout cela, en définitive, vous emmerde au plus haut point.” Léa méritait une protection permanente, à l'évidence dans ce rugueux décor de Corse, tout obstacle étant dangereux. À cause du changement d'air, à cet âge, il n'était pas surprenant que Léa tombe malade. Anna trouva que sa sœur ne soignait pas correctement son bébé. Étonnant de la part d'une infirmière, qui n'avait même pas ouvert certains médicaments.
Ça n'allait pas améliorer les rapports entre les deux sœurs, cet incident. Anna resta d'autant plus attentive à sa nièce. Ce ne fut pas le seul problème autour de la petite Léa. Anna simula un rapprochement avec Hélène, dans le but de contrôler tant soit peu la situation. Et d'étayer ses hypothèses. Mais peut-être valait-il mieux qu'elle s'occupe de ses affaires, qu'elle aille à la plage et se laisse séduire par ce bel Italien de Bologne, étudiant en architecture ? Après tout, Hélène était responsable de son enfant…
Une histoire en forme de huis-clos, considérant que tout se passe sur un lieu de vacances. Décor aéré, puisqu'une route en lacets permet de descendre du village à la plage. Ce qui n'empêche pas un certain isolement pour les protagonistes. Le thème exploité n'est absolument pas nouveau : il s'agit du soupçon. Comme, par exemple, dans bon nombre de films d'Hitchcock. L'originalité vient ici de la narratrice, une adolescente. Car le regard que porte sur son monde une jeune fille de seize ans est souvent biseauté. Elle commence à se créer un univers personnel, forcément éloigné des références parentales. Elle ose une opinion qui lui paraît réfléchie, avec tout le sérieux du début de maturité qui l'habite. Mais sa parole, son questionnement, comptent encore peu.
La manière narrative est fort intéressante, aussi. C'est à la fois l'adolescente qui témoigne, qui retrace cet épisode de sa vie, mais avec le recul de l'adulte, vingt ans plus tard. Anna ne se juge pas elle-même, n'incrimine pas sa famille. Elle décrit l'atmosphère telle qu'elle l'a ressenti alors, avec l'idée qu'elle semblait la seule à éprouver : une suspicion teintée de jalousie, peut-être et même sûrement, envers une sœur aînée différente, jeune mère trop peu maternelle à ses yeux. Des personnages crédibles, des caractères réalistes, en effet. Un très bon suspense psychologique.