Après guerre, le capitaine de gendarmerie Henri Fabre est un ancien résistant en poste à Erquy, sur la côte nord de la Bretagne. Ayant mené avec succès plusieurs enquêtes, Fabre affiche une prestance qui impressionne. En juin 1953, il recueille les ultimes confidences d'Étienne Lorrain, à l'article de la mort. Celui-ci avoue avoir participé en février 1946 au massacre de neuf personnes, ce qu'il qualifie de "Nuit des sanguinaires". Une opération qui ne dura que quelques heures, effectuée par deux duos de tueurs à travers la région. Il cite les noms d'un certain Saint-Just, ainsi que celui de Matthias Ardenne, qui aurait été accompagné d'un inconnu. Dès le lendemain, le capitaine Fabre entreprend de se rendre à Belle-Île-en-Mer, où vit Matthias Ardenne avec son fils et un ami, Guillaume de Sèvres.
Aux dire du passeur Béguin, le nommé Ardenne est un quinquagénaire ayant une bonne réputation sur l'île. Il habite Belle-Île par intermittence depuis 1928, époque où il y installa sa défunte épouse Esther. En réalité, avec le fidèle De Sèvres, Matthias Ardenne connut un parcours d'aventurier, de colonial. Si sa générosité est appréciée sur l'île, le caractère de son fils Jacques est moins positif. Né en 1929, il se prend pour un séducteur, et se montre volontiers querelleur, voire bagarreur, pensant disposer d'une certaine impunité grâce à son père. Il a été récemment impliqué dans “des histoires de petit coqs dans leur basse-cour”, un type se faisant appeler Gino et lui-même convoitant la même fille, Ariane Perrier. Ce n'est toutefois pas le fils que Fabre compte publiquement affronter, mais son père.
Le capitaine emprunte le cheval Neptune, pour se rendre au manoir de Matthias Ardenne. Juste pour que la vérité soit établie, Henri Fabre ne craint pas de défier ce suspect. Ni le maître des lieux, ni Guillaume de Sèvres, n'admettent avoir connu Étienne Lorrain. Ils nient être concernée par cette "Nuit des sanguinaires". Par un contact parisien, Titus, le capitaine obtient le pedigree de Matthias Ardenne, de ses proches, mais aussi des victimes de l'opération sanglante. Mis à part un avocat ayant défendu des collabos, les huit autres étaient d'authentiques résistants. Sur le continent, les adjoints de Fabre enquête au sujet de ces victimes. À Sauzon, l'hôtelière Rachel Veilleur n'est pas insensible au charisme du capitaine. Bien renseignée, elle sera une alliée non négligeable pour lui.
Jacques Ardenne est retrouvé mort sur les rochers bordant l'île. Pour le major Aubert de la gendarmerie locale, le coupable ne peut être que Gino. Sa fuite le démontrerait, selon lui, même si Aubert est incapable de l'arrêter. Peu après, c'est la vieille Maria Stanguennec que Fabre découvre noyée dans son puits. Avant guerre, elle fut employée chez Ardenne, mais ils n'ont pas gardé de bonnes relations. Fabre se demande ce que faisaient vraiment Ardenne et De Sèvres entre 1939 et 1945. Il s'intéresse au cas de la jeune Ariane, qui fut violentée et en conserve des séquelles. À Paris, Titus a finalement trouvé des infos sur le nommé Saint-Just. À l'heure du châtiment, le capitaine Fabre ne s'embarrassera pas de sentiments…
L'excellence des romans d'Alain Emery tient, en tout premier, dans sa faculté d'installer des ambiances pleines de véracité. On se sent véritablement à Belle-Île-en-Mer en 1953. On suit son héros au Palais, à Sauzon, et sur les falaises escarpées. Le capitaine Fabre ne passe d'ailleurs pas inaperçu : “Avec ce grand cheval anthracite et sa pétoire sur l'épaule, Fabre fit sensation. On se poussait aux fenêtres pour le voir mais lui ne songeait plus qu'à son ventre. Il avait faim et les odeurs de fricot qui s'échappaient des portes, ouvertes en grand sur le soleil de midi, lui affûtaient encore l'appétit.” On aperçoit l'ombre du Guédel, le navire faisant la liaison avec Quiberon, et on imagine sans mal la Maison du Consul, le manoir où habite le principal suspect. Un décor historique et insulaire impeccable.
Bien sûr, les personnages sont très clairement dessinés. Outre l'agréable fluidité du récit, il faut souligner la construction de l'histoire. En plus de la narration des faits, l'auteur nous présente les témoignages de plusieurs protagonistes, et des extraits du "carnet de bord" du capitaine Fabre. Ce dernier peut se montrer cynique, faisant fi des convenances, et de l'opinion d'autrui quand elle lui apparaît de peu de valeur. Un trait de caractère qui le rend plutôt sympathique, disons-le. Si la fameuse "nuit des sanguinaires" est au centre de l'intrigue, c'est tout le contexte que l'enquêteur se doit d'éclairer. Le talent d'Alain Emery est incontestable, son nouveau suspense en apporte une fois de plus la preuve.
Alain Émery : La racine du fleuve (Paul & Mike Éditions, 2014) - Le blog de Claude LE NOCHER
http://www.action-suspense.com/2014/11/alain-emery-la-racine-du-fleuve-paul-mike-editions-2014.html
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