Parmi les nouveautés en format poche de ce printemps 2015, deux excellents suspenses à retenir, en particulier pour leur aspect psychologique.
Jan Costin Wagner : L’hiver des lions (Babel Noir, 2015)
En Finlande, Kimmo Joentaa est policier à Turku, à l’ouest d’Helsinki. Jeune veuf, il reste très marqué par le souvenir de sa épouse Sanna. De service à la veille de Noël, Kimmo vit une nuit animée. Il fait la connaissance de “Larissa”, qui ne masque guère sa volonté de le séduire, avant que son ami et collègue Tuomas Heinonen ne débarque chez lui déguisé en Père Noël. Il a des problèmes de couple, à cause de son addiction aux jeux d’argent. Sur le matin, Kimmo apprend qu’un meurtre vient d’être commis en forêt. La victime est Patrik Laukkanen, le médecin légiste local. Difficile tâche d’annoncer la triste nouvelle à sa compagne, mère de leur bébé. Quant aux circonstances du crime, une constatation s’impose : “On dirait que son assaillant a frappé sous le coup de la colère. Il y a des coups de couteau répartis au hasard sur presque tout le buste.”
Un meurtre similaire est commis à Helsinki. La victime est Harri Mäkelä, un fabricant de faux cadavres pour le cinéma. Kimmo devine le point commun entre les deux hommes. Ils ont participé au talk-show télévisé le plus suivi du pays, celui de l’animateur Hämäläinen. Dans l’émission intitulée “Les maîtres de la vie et de la mort”, la prestation du légiste Patrik Laukkanen fut réussie, et Harri Mäkelä montra trois exemples de faux cadavres réalistes. Kimmo visionne le DVD du programme, sans noter de détails particuliers. Interrogé par les enquêteurs, l’assistant de Mäkelä explique les méthodes du défunt. Regardant à nouveau le DVD, Kimmo se demande si un des mannequins ressemble à un mort bien réel. L’animateur Hämäläinen est agressé dans un couloir de la télévision. Il ne se souvient de rien d’anormal concernant l’émission avec les autres victimes. Kimmo note que l’agresseur a poignardé moins vivement l’animateur. La piste de personnes décédées dans certains types d’accidents, en train ou en avion, parait plausible...
Nous voici en Finlande durant la semaine du 24 décembre au 1er janvier. Ce roman d’enquête baigne dans un troublant climat psychologique, ce qui le rend d’autant plus intense. L’état d’esprit du policier Kimmo Joentaa constitue le principal atout de cette histoire. Marqué par son drame personnel, il fait preuve d’empathie envers tous, collègues ou témoins, proches de victimes. Seule la belle “Larissa” échappe à sa perspicacité. Dans l’ombre, on découvre par petites touches une autre personne, jouant un rôle essentiel. Les portraits sont joliment précis et nuancés. Un suspense riche en finesse, à l’ambiance véritablement prenante.
Robert Crais : Suspect (Pocket, 2015)
Âgé de trente-deux ans, Scott James est policier en uniforme à Los Angeles. Il fait équipe en patrouilles avec Stephanie Anders. Scott espère intégrer bientôt une unité d'élite. Cette nuit-là, tous deux assistent à un accident de la circulation entre un camion et une Bentley. Mais quand intervient une Gran Torino, une fusillade éclate. Le couple de policiers est visé, même si ce sont les occupants de la Bentley qu'on ciblait. Stephanie Anders est abattue, Scott James en sort gravement blessé. Neuf mois et demi plus tard, il a toujours des séquelles post-traumatiques et physiques, qu'un psy a du mal à soigner. Pendant tout ce temps, l'enquête sur la mitraillade n'a pas vraiment avancé. Scott James a été accepté dans la brigade canine, l'unité K9. Pour le recaser, plutôt que grâce à ses compétences.
Leland, le patron, ne voit pas d'un bon œil que Scott choisisse le berger allemand Maggie. Cette chienne a appartenu au corps des Marines, en Afghanistan. Elle souffre de stress post-traumatique, comme Scott, ne supportant pas le bruit des coups de feu, handicap majeur. L'idée de Leland est d'inciter Scott à renoncer à ce boulot. Néanmoins, le couple fonctionne assez bien. La chienne ne tarde pas à adopter son nouveau maître. L'inspecteur Orso et sa collègue Cowly relancent l'enquête sur la fusillade. Scott retourne souvent sur les lieux, maintenant avec Maggie. Il s'est aperçu que les cambriolages sont fréquents dans ce quartier. Pas impossible qu'un braqueur présent cette nuit-là ait pu voir quelque chose de précis. Scott étudie les témoignages et la reconstitution des faits dans le dossier mis à sa disposition…
Un suspense diablement sympathique, par un romancier chevronné. Concernant l'intrigue criminelle proprement dite, Robert Crais sait ménager ses effets. Après la scène-choc de la fusillade, il va distiller les menus indices, les possibles pistes. Il nous présente un policier plutôt solitaire, persévérant à chercher des éléments sur la mort de sa partenaire. Un thème classique et solide. Idem pour l'aspect psychologique. Ce qui séduira bon nombre de lectrices et de lecteurs, c'est la nouvelle partenaire du policier, pesant quarante kilos. D'autant que certaines scènes sont “vues par” Maggie, la chienne militaire. La relation entre un animal (capable d'un véritable dressage) et son maître (directif sans dureté) apparaît effectivement bien décrite. Un polar ne fonctionne pas sans un scénario sérieux et une narration fluide : des atouts favorables bien présents dans ce “Suspect”.