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16 mars 2015 1 16 /03 /mars /2015 05:55

Fils de fermiers allemands, Gunther Frazentich cultive dès le plus jeune âge une passion pour le dessin. Dans son milieu terrien, c'est une activité mal vue. Il a vingt ans quand il est enrôlé de forcé pour la construction du camp de Ravensbrück. “Le pont aux corbeaux”, une dénomination déjà sinistre en soi. Quand débute le peuplement du camp, il passe au rang de gardien, parmi les autres kapos. Si ces convois de femmes qui arrivent expriment une grande détresse, il doit s'endurcir afin de dessiner ce dont il est témoin. Brimades et horreurs "médicales" se succèdent bientôt. Ce qui le perturbe n'est pas tant de la lâcheté, c'est l'impossibilité d'intervenir. Gunther n'est pas soldat, à peine gardien, mais son talent retient l'attention des autorités du camp. Il en devient l'illustrateur officiel.

Tellement de monstruosité autour de lui ! Telle cette chambre à gaz mobile, aménagé dans un faux camion-ambulance. À la morgue, c'est avec cynisme que les autopsies se font, au prétexte de la science. L'infirmerie n'est pas réellement un endroit destiné à soigner les malades, c'est déjà “l'antichambre de l'Enfer”. À Ravensbrück, le camp des femmes, tout est bon pour les charcuter, les abaisser, leur infliger des punitions. Il n'est pas rare que les pneumonies entraînent des décès rapides. Montrer de la compassion face au terrible sort des prisonnières comporte des risques. Gunther est encore témoin de la prostitution, qui est censée assouplir la situation de certaines. Et du travail forcé à l'usine Siemens, située non loin du camp. De l'arrivée massive d'enfants prisonniers, également.

Gunther dessine, gardant ses dessins les plus expressifs de la dureté, les cachant d'abord auprès de lui, puis trouvant un endroit pour dissimuler la caisse remplie de croquis. Il lui arrive, grâce à sa relative liberté au camp, de servir de contact entre des prisonnières. Un jour, alors qu'arrive un énième convoi, c'est le coup de foudre pour Gunther. Edna est une jeune Juive française. Il s'arrange pour qu'elle soit quelque peu protégée dans un atelier. Il s'agit là, évidemment, d'un amour impossible. Néanmoins, ils parviennent à se rencontrer ponctuellement. Gunther se veut aussi prudent que possible.

Un jour, le voilà obligé de dessiner le portrait d'Himmler, dont le médecin personnel est un des chefs de ce camp. Il n'est pas sans remarquer que l'extermination est de plus en plus intensive. Sans doute Gunther a-t-il pris trop de libertés aux yeux de la hiérarchie, car il est bientôt sanctionné. En ce début 1945, il assiste à de nouvelles horreurs, comme la stérilisation de fillettes tziganes. La libération du camp de Ravensbrück n'est une priorité ni pour les Russes, ni pour les Alliés, qui visent Berlin. Les SS sont nerveux, les fours crématoires fonctionnent à plein régime. Est-il encore possible de survivre ?…

Stanislas Petrosky : Ravensbrück mon amour (l'Atelier Mosésu 2015)

D'abord, soyons précis quant au vocabulaire. Ce n'est pas d'un camp de prisonniers, ni “de concentration”, mais d'un camp d'extermination, dont il convient de parler au sujet de Ravenbrück. Qui plus est, le but affiché consistait à supprimer les plus faibles, les femmes et les enfants. Appartenant à des minorités religieuses (Juives) ou ethniques (Tziganes), de préférence. Se livrer à de prétendues expériences médicales sur des personnes non-aryennes, c'était les destiner à une mort aussi certaine que pour celles envoyées dans les chambres à gaz et autres crématoriums. Au nom d'idéaux de supériorité, de théories raciales ou nationalistes, c'est toujours la barbarie que l'on veut imposer. Désigner l'adversaire fautif, l'accabler puis le détruire, le processus dictatorial est encore habituel.

Gunther, le héros sans héroïsme de ce roman, n'a pas l'esprit guerrier. Il n'est pas animé par la haine cultivée par les nazis. Face à leur organisation implacable, que pourrait-il faire d'autre que de témoigner par le dessin ? Même montrer un brin de pitié semblerait suspect. Toutefois, il ne peut se borner à survoler froidement cette dramatique période. Le personnage est profondément humain, alors que l'ambiance autour nie toute humanité. C'est ce que nous décrit cette histoire, de la construction à la libération de Ravensbrück. Les chapitres sont courts, comme autant de scènes dont Gunther ferait le croquis. Une singulière relation amoureuse tente d'illuminer le récit. Sans doute a-t-on déjà beaucoup écrit, documentaire ou fiction, sur les camps nazis. Néanmoins, ce genre de romans permet de continuer à illustrer les plus sombres réalités de la haine, érigée en dogme. Il est trop facile d'oublier, de fermer les yeux sur le passé.

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commentaires

P
Salut Claude, je suis en train de le finir, et c'est difficilement supportable. Un roman important qui ne nous épargne rien. Quelle horreur ! Le pire est de se dire que cela a existé ! Amitiés
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C
Salut Pierre<br /> Hélas oui, c'est largement inspiré de ce terrible camp d'extermination. C'est pourquoi on ne peut pas laisser "envahir" par ceux qui préfèrent une version falsifiée de l'Histoire. Ce genre de roman est un rappel nécessaire, indispensable, de toutes formes de barbarie.<br /> Amitiés.
P
Rebonjour,<br /> <br /> " figurait " voulais-je dire, pas " fifurait " .<br /> <br /> Je viens de regarder le site www.rarehistoricalphotos.com qui comme je l'ai dit ne propose guère de nouvelle photo qu'une fois par mois.<br /> Mais depuis samedi il y en a une nouvelle, et il se trouve qu'elle a un rapport avec le sujet de ce jour.<br /> En septembre 1945, donc quatre mois après la capitulation allemande marquant la fin officielle de la guerre en Europe, et un mois après les bombardements de Nagasaki et Hiroshima qui entraîneront la capitulation du Japon, voici une photo de cinq militaires australiens, prisonniers de guerre des Japonais récemment libérés par les Alliés. Ils ont été dans le camp de Changi, l'un des équivalents japonais des camps allemands. <br /> Ils parviennent à sourire en lisant le journal, alors que leurs corps témoignent encore de leur sous-nutrition.<br /> <br /> http://rarehistoricalphotos.com/australian-soldiers-after-their-release-from-japanese-captivity-in-singapore-1945/<br /> <br /> Cordialement
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C
Terrible image, en effet, si l'on réfléchit aux privations endurées. On pense aussi au "Pont de la Rivière Kwaï" et à la maltraitance des prisonniers. <br /> En-dessous, j'ai découvert le village ornais de Nonant-le-Pin, dont je n'avais jamais entendu parler. Sur Wikipédia, aucune référence dans la fiche de cette commune au camp de prisonnier allemands, suite aux combats de la "poche de Falaise". Encore un cas où l'on veut gommer la mémoire. <br /> Je me souviens que, dans ma conversation avec Brice Pelman, il fut question de cet épisode de la Libération. Il était alors dans la 2eDB, et ne cachait pas que ce fut à son avis leur plus pénible combat. <br /> Amitiés.
P
Bonjour M. Le Nocher, M. Faverolle,<br /> <br /> Avez-vous eu en mains les romans jeunesse de Nanine Gruner ?<br /> Dans des éditions postérieures à la guerre de 1939-1945 ? <br /> " La Maison de l'Indienne " ( Bibliothèque Verte, 1944 et autres ).<br /> " L'Enigme du trèfle " ( Bibliothèque Verte puis Idéal-Bibliothèque, 1954 ).<br /> " Isabelle et la porte jaune " ( Bourrelier, 1937 puis après-guerre 1946, 1953, puis Editions Thierry Magnier, 2006, le seul de ses livres à avoir été réédité dans les années récentes ).<br /> <br /> J'ai toujours retenu que dans ces éditions fifurait au début de chaque livre une phrase que je ne connaîs pas par coeur, mais disant " Madame Nanine ( Jacqueline en réalité ) Gruner, Résistante, a été arrêtée et est morte au camp de Ravensbrück le ( j'ai oublié le jour exact ) mars 1945 " .<br /> <br /> Certains de ses romans jeunesse ont été illustrés par Albert Chazelle ( mort en 1974 ), connu comme ayant illustré la série " Les Six compagnons " de Paul-Jacques Bonzon dans la Bibliothèque Verte ou " Alice " de Caroline Quine ( nom collectif, rappelons-le, inventé par le Stratemeyer Syndicate pour cacher une multitude d'auteurs tenus par contrat de ne pas dévoiler la vérité, connue longtemps plus tard ), toujours dans la Verte.<br /> <br /> Voici parmi beaucoup d'autres quelques liens sur Nanine Gruner ( morte je dis bien à Ravensbrück, comme le dit aussi le second texte, non pas à Buchenwald comme le dit par erreur le premier ).<br /> <br /> http://livres-d-enfants.conceptbb.com/t1689-nanine-gruner<br /> <br /> http://notabene.forumactif.com/t2262-l-enigme-du-trefle-nanine-gruner<br /> <br /> http://consus-france.over-blog.fr/article-la-maison-de-l-indienne-by-nanine-gruner-95398857.html<br /> <br /> http://www.editions-thierry-magnier.com/auteur.php?id=3799<br /> <br /> Cordialement
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C
Bonjour Philippe<br /> J'avoue que je ne connaissais pas cette auteure. Excellente initiative des éditions Thierry Magnier d'avoir republié au moins un titre. Tant de trésors méritent d'être réédités.<br /> En lisant ce roman, je pensais au maire de Cholet, Gilles Bourdouleix, à propos des quantités de tziganes exterminés à Ravensbrück. Celui-ci estimait publiquement que, concernant les gens du voyage, "Hitler n'en avait peut-être pas tué assez". Ce qu'il nia, puis justifia comme une plaisanterie. 3000€ d'amende, alors que pour "apologie de crime contre l'Humanité", il pouvait être condamné à cinq ans de prison et 45000€ d'amende, je pense que c'est encourager des imbéciles qui mesurent parfaitement la portée de leurs paroles. <br /> Puisque de nombreux homos furent aussi exterminés dans les camps nazis, on peut aussi citer Louis Noguès, conseiller municipal du Mans qui, en pleine séance du conseil municipal, a explicitement comparé l'homosexualité à la zoophilie jeudi 26 février 2015. "À quand une délibération sur la zoophilie? Parce que cela revient au même, quand même". Inutile de préciser à quel parti il appartient... <br /> Ces mêmes crétins évoquent le "C'était mieux avant, en France". A l'un d'eux, il y a quelques années, j'ai répondu : "C'était mieux, quand les troupes hitlériennes défilaient sur les Champs-Elysées ?"<br /> Amitiés.
P
Bien tentant, ce roman, Cher Claude. Amitiés
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C
Un roman "historique" fort convaincant, mon cher Pierre. Amitiés.

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