Anne Capestan, trente-sept ans, est commissaire de police. Six mois après qu'une bavure l'ait mise sur la touche, la voici réintégrée grâce au bon vouloir de Buron, directeur de la PJ, son mentor. Pas de quoi se réjouir, toutefois : c'est d'une brigade de placardisés dont elle hérite, des recalés d'autres services. Quarante noms, mais ils seront finalement bien moins nombreux. Leur mission consistera à réétudier des affaires non résolues. Ils vont disposer d'un ancien appartement rue des Innocents, en guise de bureaux. Capestan y est rejointe par José Torrez, un flic qui porte la poisse ; Lebreton, homo veuf depuis peu, venu de l'IGS où il enquêta sur la bavure de la commissaire ; Eva Rosière, flic s'étant enrichie en écrivant des polars et des scénarios de téléfilms ; Merlot, vieux policier alcoolique ; et le caractériel Orsini, qui joue un trouble jeu avec les médias. Une fine équipe.
Deux vieilles affaires attirent l'attention du groupe. La première sera confiée à Rosière et Lebreton. Il y a près de vingt ans, le marin Yann Guénan fut retrouvé dans la Seine, après avoir été exécuté. Fait majeur dans sa vie, lors du naufrage d'un navire à passagers, il put sauver des gens. Plus tard, il considéra Jallateau, constructeur du bateau, comme le grand responsable, élaborant un lourd dossier contre lui. Depuis, ce Jallateau s'est installé aux Sables d'Olonne, où il s'occupe de bateaux de plaisance. Le duo d'enquêteurs se déplacera jusqu'à lui, ce qui est assez confortable dans la Lexus d'Eva Rosière. L'homme est hostile, certes, ce qui ne le rend que modérément suspect. S'il existe une sorte de carnet de bord tenu par Yann Guénan, il faudrait que sa veuve Maëlle le leur confie. Si elle n'est plus en état de le faire, l'équipe de Capestan devra se débrouiller pour s'en emparer.
Outre le cas bientôt résolu d'un jeune dealer fils de ministre, la deuxième grosse affaire concerne le meurtre d'une dame âgée sept ans plus tôt. La commissaire Capestan et le flic poissard Torrez s'en chargent. Ancienne institutrice habitant Issy-les-Moulineaux, Marie Sauzelle était encore fort active. Elle semble avoir été victime d'un cambrioleur, qui a fait aussi disparaître son chat. Quelques détails ne concordent pas, quand même. La maison n'a été ni vendue, ni entretenue depuis le décès. Tout juste est-elle surveillée par un des voisins, Serge Naulin, qui n'inspire guère confiance aux deux policiers. Un déplacement à Marsac, dans la Creuse, est nécessaire pour interroger le frère de Marie Sauzelle. Qui les accueille mal, avant d'être plus courtois. Par ailleurs, grâce aux contacts d'Orsini, le cas du dealer "fils de" connaît une certaine médiatisation afin de ne pas enterrer le sujet.
Le groupe s'est légèrement étoffé, notamment avec la blonde lieutenant Evrard, ainsi qu'un expert en informatique et un brigadier. Malgré les avancées, le bilan des affaires Sauzelle et Guénan est peu encourageant. Anne Capestan doit remotiver son équipe : “Dans les films de guerre, celui qui dit "On va tous crever", il n'aide personne […] On enquête sans pression, sans procédure, sans comptes à rendre. On appartient toujours à la Police Judiciaire, on forme juste une branche à part.” Rosière et Lebreton ont déniché un possible lien entre les deux dossiers. La piste du jeune cycliste à l'allure colorée mériterait d'être suivie. Face à la position ambiguë du directeur Buron, Capestan et les siens vont devoir concurrencer leur collègue Valincourt et ses cadors de la Crim' du 36. Peut-être que la brigade de Capestan est moins ringarde, plus efficace, qu'on ne l'a cru…
La comédie policière est un genre dont les rouages doivent être parfaitement huilés, afin que l'intrigue fonctionne correctement. D'abord, c'est sous le signe de l'humour que va se placer le récit : “Et toi, Eva, de la famille ? ─ Oui, un chien et un fils. Mais des deux, c'est encore le chien qui téléphone le plus souvent, confia Rosière avec un haussement d'épaules fataliste.” L'auteure nous présente un groupe de flics déclassés. Elle parvient à éviter habilement un écueil courant, le risque de ne pas distinguer les personnages. Ici, chacun(e) possède assez de singularité pour être remarquable. On voit qu'il ne s'agit pas de tocards, mais de flics s'étant marginalisés au sein de la police. Entre l'exubérante Eva Rosière avec son chien Pilote, Torrez redoutant de provoquer des catastrophes, Lebreton et ses états d'âmes, on sourit beaucoup tout en apprenant à les apprécier.
Beaucoup de remue-ménage en perspective, donc. Et l'aspect enquêtes criminelles, alors ? Que l'on se rassure, notre petit groupe est là pour résoudre des énigmes obscurcies par le temps, mais pas si impossibles à comprendre pour eux. Un brin de ténacité, une petite dose d'astuce, de menus détails oubliés, des vagues pistes négligées, et les voilà sur la bonne voie. À l'occasion de Quais du Polar 2015 à Lyon, le nouveau prix "Polar en séries" (dont le but est récompenser un livre, roman ou BD choisi pour son potentiel d’adaptation en série TV) a été attribué à “Poulets grillés” de Sophie Hénaff. Jolie récompense, méritée, pour ce premier roman de l'auteure. Du suspense, de l'humour, des péripéties agitées, un polar très divertissant : tous les atouts sont réunis pour plaire aux lecteurs.