Au bistrot habituel fréquenté par Gabriel Lecouvreur, Maria, l'épouse du patron Gérard, a un service à lui demander. Son amour de jeunesse, Jaume Llobregat, vient de se suicider à Barcelone. Ayant avalé de l'eau de Javel, il est mort dans d'atroces souffrances. Qu'est-ce qui a pu motiver ce geste affreux ? Ce pourrait être en rapport avec ces anciens trafics d'enfants, révélés en Espagne depuis quelques temps. C'est aussi ce que pense Pedro, le vieil ami anar de Gabriel, auquel l'ex-révolutionnaire confie son propre flingue. Miracle, le Polikarpov I-16 du Poulpe, l'avion qu'il fait réparer depuis des années, est maintenant en état de voler. C'est avec cet engin datant de la Guerre d'Espagne que Gabriel va voyager jusqu'à la région de Barcelone.
La première rencontre du Poulpe est pour Eusebio, 98 ans, le frère de Pedro, qui fut un pilote expérimenté durant le conflit face aux franquistes. À Barcelone, c'est chez Pilar, la nièce de Pedro, que Gabriel va loger. Il ne tarde pas à rendre visite aux parents de Jaume Llobregat. Quand il se rend à l'adresse de Feran Piquer, qui fut durant leur adolescence l'ami de Maria et de Jaume, l'appartement a été saccagé. Pour se protéger avec sa famille, Feran s'est réfugié en bord de mer, à Badalona. Après avoir fait la connaissance de Paco, propriétaire de la librairie spécialisée polars "Negra y criminal", Gabriel est agressé alors qu'il retourne chez Pilar. Pas de doute, il a été repéré dès ses premières investigations, probablement à cause de la mère de Jaume.
Feran Piquer accepte de raconter au Poulpe et à Pilar son parcours et celui de Jaume, qui furent des bébés volés, enlevés à leurs génitrices. Son ami suicidé venait d'en obtenir la preuve formelle. Tout cela remonte aux années 1960 et 1970. José Pons Cardona était un médecin qui organisait ce trafic, en lien avec une puissante confrérie religieuse. Comme il est décédé depuis quelques années, la piste pourrait s'arrêter là. Une femme témoigne de son cas, du vol de ses bébés : celle-ci sera agressée et défenestrée après le passage de Gabriel. Car il existe un autre José Cardona, petit-fils du précédent. Âgé de quarante-six ans, médecin catholique, proche de la politique, anti-Rouges viscéral, il envoie son homme de main Radko Sokolov pour effectuer les basses besognes.
Afin de lui éviter le danger, Gabriel expédie bien vite la jeune Pilar en France. Traînant dans des hôtels minables afin de ne pas se faire remarquer, le Poulpe va maintenant passer à l'action. Il se renseigne à l'hôpital Sant Joan de Déu. Mais c'est plutôt à la Clinique du Bon Samaritain que Gabriel obtiendra rendez-vous avec José Cardona. Le médecin prétend ne rien avoir à faire avec ce qui s'est, peut-être, produit au temps de son grand-père. Pour autant, et bien que Sokolov soit sur sa trace, le Poulpe ne renonce jamais…
Voilà vingt ans qu'existe Le Poulpe, cette collection de romans populaires créée par Jean-Bernard Pouy. Désormais dirigée par Gwenaëlle Denoyers, elle en arrive à son 288e titre avec “Un Chato en Espagne” de Patrick Bard. Selon sa présentation, “Le Poulpe est un personnage libre, curieux, contemporain, qui a eu quarante ans en l'an 2000 [il est né le 22 mars 1960 à Paris, 11e]. C'est quelqu'un qui va fouiller, à son compte, dans les désordres et les failles apparents du quotidien. Quelqu'un qui "démarre" toujours de ces petits faits divers qui expriment, à tout instant, la maladie de notre monde. Ce n'est ni un vengeur, ni le représentant d'une loi ou d'une morale, c'est un enquêteur un peu plus libertaire que d'habitude, c'est surtout un témoin.”
Sans oublier de préciser que Gabriel Lecouvreur, c'est tout un univers. Il vit avec la blonde coiffeuse Chéryl, fréquente le bistrot "Au pied de porc à la Sainte-Scolasse" (Avenue Ledru-Rollin, entre la rue de Charonne et la place Léon-Blum), et part à l'aventure dès qu'il note un fait-divers troublant, souvent pas plus de quelques lignes dans le journal. Cette fois, c'est en Catalogne qu'il mène l'enquête. Héritier de l'esprit de Durutti, Gabriel ne peut qu'être attiré par Barcelone, ville chargée d'histoire. Sans doute a-t-on entendu parler des scandaleux trafics d'enfants espagnols durant la longue période franquiste. Il en est bien question ici. Mais c'est aussi un des rares épisodes où l'on s'attarde sur le fameux Polikarpov I-16 de Gabriel et sur d'autres avions ayant participé à la Guerre d'Espagne.
Romancier récompensé par de nombreux prix littéraires polars, Patrick Bard restitue à merveille cette liberté d'action que s'autorise le Poulpe, autant que son obstination à ne pas laisser en paix les ordures trop sûres de leur impunité. Un épisode impeccable de la série.
Stéphane Pajot : Aztèques freaks" (Le Poulpe, 2012) - Le blog de Claude LE NOCHER
http://www.action-suspense.com/article-stephane-pajot-azteques-freaks-le-poulpe-2012-96655222.html
Cliquez sur ces quelques chroniques précédentes autour de la série Le Poulpe.