À l'instar de l'Affaire Landru, assez comparable, l'Affaire Petiot fait partie de ces dossiers criminels dont le public se souvient dans les grandes lignes. Au printemps 1944, le docteur Marcel Petiot est recherché et bientôt arrêté pour les meurtres de vingt-sept personnes, au moins. Pour parodier le titre d'un célèbre film, “l'assassin habite au 21” rue Lesueur, à Paris. En réalité, il vit avec son épouse Georgette et leur fils Gérard rue Caumartin, où se trouve son cabinet. Ce médecin possède une large clientèle et une bonne réputation. Voilà onze ans qu'il s'est établi dans la capitale. On n'ose pas dire “qu'il y exerce”, son parcours ayant été chaotique depuis. Pour comprendre Petiot, sans doute faut-il remonter le temps.
Marcel Petiot a été un gamin turbulent, indiscipliné au point d'être renvoyé de toutes les écoles où il est passé. Adolescent, il commet des petits méfaits qu'il ne sait expliquer. Il a dix-sept ans quand un médecin-expert note dans un rapport son “anormalité” congénitale. Marcel Petiot poursuit de vagues études de médecine. Blessé léger durant la Première Guerre, un diagnostic fait là encore état de ses troubles mentaux. Tout en étant pensionné par les autorités militaires, il termine poussivement ses études. En mars 1922, le jeune médecin Petiot s'installe à Villeneuve-sur-Yonne, gagnant bientôt une clientèle. Il réussit même, profitant d'une situation confuse, à se faire élire maire de cette ville dès 1926.
Bien que fort contesté, Petiot parvient à se faire réélire quelques temps plus tard. On le sait kleptomane, il sera également jugé pour vols, nouvelle occasion d'évoquer son état mental perturbé. Sa gestion municipale hasardeuse s'avérant catastrophique, Petiot est révoqué en tant que maire, mais réussit à se faire élire conseiller général. Il finira par être démis de tous ses mandats, après quelques procès. Malgré des rumeurs allant jusqu'à évoquer des comportements malsains et des morts suspectes, Petiot profite d'une certaine impunité. De toutes façons, il a décidé de quitter Villeneuve-sur-Yonne pour Paris. Avec sa famille, il s'y installe, ouvrant un cabinet en septembre 1933, rue Caumartin.
Charlatanisme et escroquerie, reproche-t-on rapidement au docteur Petiot. Il est aussi inquiété pour trafic de stupéfiants, à destination de toxicomanes notoires. En 1936, il sera jugé pour une affaire de vol et de violences. Son cas psychologique est étudié : puisqu'il s'agit d'une démence complexe, un internement d'office est exigé par la Justice. Petiot s'appuie sur la relativité des rapports médicaux pour ne pas être enfermé trop longtemps. Alors qu'arrive la guerre et l'Occupation de Paris, l'acheteur compulsif qu'est Marcel Petiot continue à acquérir meubles et bibelots. Qu'il va stocker dans un ancien hôtel particulier délabré et inhabité dont il devient propriétaire, au 21 rue Lesueur.
C'est sous le nom de Docteur Eugène qu'il organise un prétendu réseau permettant de fuir la France. Des familles juives, mais aussi des truands désireux de quitter Paris, passent à cette adresse puis disparaissent sans laisser de traces. Après un procès pour avoir fourni de la morphine à des toxicos, Petiot va connaître des ennuis avec la Gestapo française. Emprisonné à Fresnes, il est torturé, mais prétend n'être qu'un rouage du réseau aidant des gens à quitter le pays. Libéré, il poursuit ses activités. Le 21 rue Lesueur finit par être repéré, à cause d'une chaudière trop fumante. Outre une curieuse pièce triangulaire, on y trouve des débris humains et de la chaux vive. Petiot s'arrange pour ne pas être pris.
Tandis que le commissaire Georges Massu mène l'enquête, c'est la libération de Paris. Le docteur Petiot joue au Résistant, jusqu'à son arrestation quelques mois plus tard. Face au juge d'instruction, il raconte appartenir à des réseaux de Résistance, se justifiant plutôt mal que bien. Depuis sa fuite, les médias font largement écho à cette affaire. Son procès, où il est défendu par l'avocat René Floriot pour la deuxième fois après l'affaire de drogue, en fait une célébrité. Les vingt-sept meurtres retenus contre lui sont tellement évidents, qu'on en oublie quasiment de revenir sur le cas psychiatrique de Petiot. Pourtant, durant les débats, il apparaît assez délirant. Il sera condamné à mort, et exécuté en 1946.
Le sous-titre de ce livre, “fou ou coupable ?” l'indique : Claude Quétel s'est intéressé tant à l'aspect psychanalytique de Petiot, qu'aux faits criminels bien connus. “Il n'en subsiste pas moins qu'être médecin marron, mythomane et kleptomane, c'est une chose, et que se mettre à tuer, c'en est une autre, même si les circonstances de l'époque ont favorisé un tel passage à l'acte” écrit l'auteur dans sa conclusion. Effectivement, en retraçant avec précision le parcours personnel et mental de Petiot, des éléments apparaissent, qu'on ne trouvait pas forcément dans les ouvrages déjà parus sur cette affaire. Son statut social de médecin, et même de maire, en faisait un notable, catégorie de gens qu'on ne condamnait pas à la légère. Toutefois, son dossier médical restait chargé. “L'effrayant docteur Petiot” offre une excellente occasion de se pencher à nouveau sur ce cas criminel historique.