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20 février 2015 5 20 /02 /février /2015 08:30

Dans une affaire criminelle sans cadavre, le doute doit légitimement bénéficier à l'accusé. En 1924, le procès de Guillaume Seznec aurait donc dû connaître un verdict plus clément qu'une condamnation au bagne. Pourtant, suivre aveuglément le slogan “Seznec innocent” ne serait pas juste, non plus. Car la réalité des faits établis reste bien plus solide que les discours jouant sur l'affectif, l'émotionnel. Tous les Bretons natifs gardent en mémoire cette affaire, une grande partie de la population française aussi. L'excellent téléfilm d'Yves Boisset, en 1993, y a contribué. Néanmoins, répéter la chronologie détaillée des éléments est nécessaire, comme le fait ici Denis Langlois de façon vive et illustrée.

Guillaume Seznec, né en 1878, entrepreneur de sciage mécanique à Morlaix, et Pierre Quéméneur, né en 1877, négociant domicilié à Landerneau, conseiller général du Finistère, entreprennent le vendredi 25 mai 1923 un voyage en Cadillac de Rennes à Paris. Quéméneur a rendez-vous le lendemain avec un certain "Sherdly" ou "Chardy" pour traiter une grosse affaire de vente de véhicules d’occasion. Leur Cadillac appartient à Seznec, tout en étant gagée au profit de Quéméneur pour garantir un prêt. Seul, Seznec regagne Morlaix avec l’automobile, dans la nuit du 27 au 28 mai 1923. À la famille Quéméneur inquiète, Seznec explique qu’en raison de pannes répétées tout au long du voyage, il a dû regagner Dreux, à la nuit tombante, pour y déposer Quéméneur à la gare. Depuis lors, il ne l’a pas revu, ni n’a pas obtenu de nouvelles de lui. Le 10 juin, la disparition est signalée à la 13e brigade de police mobile de Rennes. Le 26 juin, Seznec, entendu à son domicile sur commission rogatoire par le commissaire rennais Cunat, confirme son récit.

Entendu à nouveau le 28 juin 1923, cette fois à Paris par le commissaire Vidal, Seznec fournit davantage de précisions sur les pannes qui entravèrent la progression des voyageurs et conduisirent à leur séparation à la gare de Dreux (en réalité, à Houdan). Par arrêt du 28 juillet 1924, Guillaume Seznec est renvoyé devant devant la cour d’assises du Finistère, siégeant à Quimper, pour avoir : - du 25 au 26 mai 1923, volontairement donné la mort à Pierre Quéméneur et ce, avec préméditation et guet-apens ; - courant juin 1923, commis un faux en écriture privée en fabriquant ou faisant fabriquer un acte sous seing privé aux termes duquel Pierre Quéméneur était censé lui consentir une promesse de vente d’une propriété dite Traou Nez, sise à Plourivo (Côtes-du-Nord). Guillaume Seznec frôle la condamnation à mort. Il sera envoyé à Cayenne.

Très vite, en partie grâce aux initiatives de son épouse, il se trouve beaucoup de gens voulant innocenter Guillaume Seznec. Parmi les témoins, il y a aura un certain François Le Her, dont on verra le manque de fiabilité au procès. Le plus halluciné entre tous est sans nul doute l'ancien juge Charles-Victor Hervé, mobilisant les foules autour du cas Seznec. Des pistes imprécises mal exploitées, souvent par impossibilité, il y en eût. Des témoignages clairs, contrairement à certaines allégations, on en produisit aussi. Retenir le détestable nom de l'inspecteur Pierre Bonny, en tant que “grand truqueur de l'enquête”, ne serait pas sérieux ; nous sommes en 1923-24, pas quinze-vingt ans plus tard. Une institutrice sincère, Françoise Bosser, amena la Ligue des Droits de l'Homme à s'engager.

Après-guerre, Seznec revient en métropole, gracié. S'il affiche une image de patriarche, il reste très actif avec sa fille Jeanne, mariée entre-temps à François Le Her. Il ne faudrait pas confondre le taiseux Gaston Dominici avec Guillaume Seznec, qui a de la répartie. En légitime défense, Jeanne abat son marie, mais êtes innocentée. Un nouvel excité apparaît alors dans leur univers, le journaliste Claude Bal. Sa demande de révision du cas Seznec est truffée d'inexactitudes. Juste avant le décès de Seznec, on tente de vaines fouilles dans la propriété de Plourivo. Puis, tandis que la famille de Jeanne vivote, l'affaire connaît moins d'écho jusqu'au milieu des années 1970.

Denis Langlois : Pour en finir avec l'affaire Seznec (Éd.La Différence, 2015)

Connu pour son militantisme au sein de la Ligue des Droits de l'Homme, Denis Langlois est contacté par la famille Seznec. Commence pour lui un travail de fond, afin d'obtenir une révision du procès. Mais il sent les rivalités familiales, en particulier entre Denis Le Her et son frère aîné Bernard. À cette époque, s'il entend déjà devenir seul défenseur de son aïeul, Denis Le Her n'en est pas encore à “ce merveilleux grand-père” qu'il va ensuite parer de toutes les vertus. Dès 1979, la médiatisation s'intensifie grâce à un programme de Pierre Bellemarre sur Europe1. Denis Le Her contrôle tout ça d'un œil jaloux. Tandis que l'avocat Denis Langlois cherche les meilleures hypothèses, Denis Le Her s'enfonce dans une stratégie du “100 % innocent”. Ça porte ses fruits dans les médias, mais c'est catastrophique sur le plan judiciaire, annulant tout espoir de révision.

Bernard Le Her confie à l'avocat le secret détenu par Petit-Guillaume, un des fils Seznec, frère de Jeanne Le Her. Dès lors, on ne peut plus du tout considérer l'affaire de la même façon. Et des témoignages annexes non-retenus prennent tout leur sens. Piste probable, que Denis Le Her ignore avec mépris. Bientôt, les désaccords incessants avec l'avocat (resté bénévole) conduisent à une séparation. Le secret de famille a été gardé, dissimulé, jusqu'ici. Après un long temps de recul, Denis Langlois l'étale au grand jour, afin que chacun puisse y réfléchir en toute justice.

Une certaine démesure accompagne l'ensemble de l'affaire. D'ailleurs, le projet initial de ventes de voitures de Quéméneur apparaissait déjà démesuré. L'enquête policière tous azimuts autour d'un unique suspect est tout aussi énorme. Il suffit d'observer la galerie de personnages qui exploitent l'affaire criminelle, pour éprouver le même sentiment d'excès. Si “l'erreur judiciaire” est dramatique, voire monstrueuse, les moyens de la démontrer ne doivent assurément pas friser l'hystérie. On n'en était pas loin, il faut le dire, lors des dernières demandes en révision de Denis Le Her. Ne pas admettre que Guillaume Seznec ait été un combinard et un magouilleur, oublier que même au bagne il s'arrangea pour ne pas être trop mal traité, jouer sur l'image positive du brave grand-père sans tache, c'est abuser l'opinion publique. Ça n'en faisait pas forcément un assassin.

Denis Langlois nous présente une sorte de “bilan final” de l'affaire Seznec. Si son premier livre, en 1988, nous offrait les bonnes clés, en incluant les plus infimes détails, celui-ci est carrément une référence sur ce dossier. Un ouvrage absolument remarquable !

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commentaires

P
Bonjour M. Le Nocher,<br /> <br /> Très intéressante votre chronique comme toujours !<br /> Vous ne rappelez pas explicitement que Denis Le Her - son nom de naissance - se fait depuis très longtemps appeler Denis Seznec ? Certes, on peut supposer que tout le monde le sait, mais autant le dire. Et puis il en a fait son nom légal par décision de justice civile.<br /> <br /> J'ai un aveu à vous faire : quand hier vous avez annoncé que votre prochaine chronique serait celle d'un livre que j'avais évoqué ces derniers jours et que j'ai répondu que je croyais savoir lequel mais sans encore le nommer, ce n'est pas au livre de Denis Langlois sur l'affaire Seznec que je pensais.<br /> Je pariais plutôt sur le roman, pas 100 % polar, de Holly Goddard Jones, &quot; Kentucky Song &quot; , dont je parlais il y a deux semaines et demi. Dans la mesure où vous disiez &quot; On en reparle bientôt &quot; .<br /> J'ai donc mal deviné. Donc, vous verrez plus tard si vous chroniquez ou pas ce livre-là.<br /> <br /> Cordialement
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C
Cher Philippe<br /> A ma connaissance, le héros de l'affaire Seznec n'est pas le petit-fils, dont le patronyme n'est qu'anecdotique, mais bien son grand-père. On peut aussi &quot;sodomiser les diptères&quot;, en rappelant que Guillaume n'était pas le prénom d'Etat-Civil de Seznec, mais son &quot;prénom d'usage&quot;. Un de ses fils portait ce prénom, mais on l'appelait Petit-Guillaume. L'affaire est déjà assez complexe, c'est pourquoi ma chronique s'en tient à une réalité : Denis Langlois fut l'avocat de la famille Le Her, et non pas de des Seznec. D'ailleurs, je me flatte de rendre mes textes les plus lisibles possibles, justement en évitant les confusions éventuelles. <br /> Oui, je parlerai de &quot;Kentucky song&quot;, mais je suis en mode lecture plus lente ces temps-ci, donc pas d'urgence. Amitiés.

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