Âgée de trente-cinq ans, Claire DeWitt est native de Brooklyn. Elle avait onze-douze ans quand, avec deux copines, elle se passionna pour la résolution de mystères. Sa bible fut le seul livre du détective français Jacques Silette, “Détection”. Un ouvrage obscur, qui dit tout et son contraire, mais qui guide toujours les enquêtes de Claire DeWitt, devenue détective privé. Jacques Silette, dont la fille Belle fut kidnappée et jamais retrouvée, était lui-même un homme énigmatique. Une des copines ados de Claire disparut elle aussi sans laisser de traces. Quittant sa famille dès qu'elle eut dix-sept ans, le parcours de Claire se fit plutôt cahoteux, avec casier judiciaire et curieux tatouages.
À La Nouvelle-Orléans, elle poursuivit sa formation de détective privé, grâce à Constance Darling. Un sacré personnage qui ne vivait que pour les investigations, qui interprétait aussi sûrement les signes ésotériques que les indices. Constance mêlait augures extra-lucides et philosophie asiatique. Comme son ex-ami Mick Pendell, reconverti prof de criminologie en Louisiane, Claire estime avoir appris beaucoup avec Constance Darling. Fumer quelques joints l'aide parfois à se concentrer. Installée en Californie, Claire a été très perturbée par une récente enquête. Elle a dû suivre une cure, genre retour à la vie naturelle. Quand on la contacte pour une enquête à La Nouvelle-Orléans, Claire apparaît de nouveau en forme.
Ce n'est pas la ville la plus sécurisante qui soit, elle ne l'a pas oublié. Les crimes y sont rarement résolus. Les accusés sont généralement libérés à la fin du délai légal de soixante jours. Pourtant, “un suspect dans une affaire d'homicide à la Nouvelle-Orléans avait davantage de chance de se retrouver lui-même à la morgue plutôt qu'au tribunal.” On est en janvier 2007, un an et demi après l'ouragan Katrina. Partout subsistent des séquelles de la gigantesque tempête qui sema la mort et détruisit des quartiers déjà modestes. Secteurs où, rien n'étant réglé, les trafics ont bientôt repris. C'est durant la catastrophe Katrina que semble avoir disparu Vic Willing, qui habitait au bout de Bourbon Street.
Ce riche magistrat était honnête et généreux, un peu hautain sans doute par sa fonction de District Attorney. Claire inspecte son appartement, sa bibliothèque et son bureau. “Vic n'avait sûrement pas été tué chez lui. Pas de sang, pas de balle, aucun détail suspect.” Elle prend quelques empreintes, et remarque un perroquet vert aux alentours. Les empreintes sont celles de Andray Fairview, un jeune délinquant afro-américain qui vient d'être incarcéré à l'Orleans Parish Prison, au cœur de la ville. Quand Claire l'y rencontre, il nie avoir tué Vic Willing, mais son alibi est fort relatif. Andray Fairview aurait même sympathisé avec le magistrat, qui avait une passion pour les oiseaux. Claire note une incongruité : Fairview possède un exemplaire de “Détection”, le livre de Jacques Silette.
Un SDF appelé Jackson prétend avoir vu Vic Willing vivant plusieurs jours après Katrina : Claire vérifie cette possibilité. Le criminologue Mick Pendell parvient à faire sortir Fairview de prison. Peu après, Fairview, son ami Terrell (dit Dreadlocks) et Claire sont la cible de tirs dans des rues mal famées. Le pick-up de location de la détective contribue à les protéger. Claire n'a pas fini de faire des bonnes et des mauvaises rencontres. Les visions et les intuitions inspirées de ses maîtres, Silette et Constance, très bien. Mais c'est plutôt le monde de Terrell et d'Andray, né du sordide et du marginal, qui l'aidera à résoudre les ténébreux mystères de l'affaire du perroquet vert...
Avec “Dope” (2008) et “Viens plus près” (2010), Sara Gran imposait une tonalité aussi personnelle qu'originale. Cette fois, serait-elle devenue plus ordinaire avec l'enquête d'une détective privée qu'elle nous propose ? Certes non, il y a ici toujours ce refus de la bien-pensance qui la caractérise. C'est vrai, tous les "privés" ont un vécu, ayant traversé tant d'expériences qui ont été des épreuves. Dans le cas de Claire DeWitt, on sent très vite que son hyper-sensibilité s'est amalgamée avec sa volonté de devenir enquêtrice. Pourtant, son parcours n'a rien de larmoyant. Au contraire, l'ironie est perceptible dans son regard sur les autres, sur tout ce qui l'entoure. Ses retrouvailles avec son ancien ami Mick Pendell en sont un bon exemple. Ce sourire décalé est présent tout au long de l'aventure.
Encore l'ouragan Katrina et La Nouvelle-Orléans ? s'insurgeront quelques sceptiques. Il ne nous est pas difficile de comprendre que cette situation a marqué les Américains. À la fois par le manque de "réponses" rapides et flagrantes pour venir en aide aux populations. Et aussi, parce que cette partie de la Louisiane a toujours semblé éloignée des règles en vigueur aux États-Unis. Sara Grant ne cache pas que police et justice, Blancs et Noirs, se sont toujours mutuellement accusés de tous les maux. Comme un statu-quo permettant à chacun d'évoluer au mépris de toute paix sociale, fric et trafic dominant tout.
Jacques Silette, détective français exemplaire pour Claire DeWitt ? Ça pourrait faire penser au chevalier Auguste Dupin, l'enquêteur d'Edgar Allan Poe. Adapté par Sara Gran, c'est un théoricien de l'investigation criminelle un peu fumeux, dont on peut interpréter les conseils de maintes façons. Finalement, c'est aussi un des personnages de l'histoire. S'il fascine Claire, celle-ci exprime peu de tendresse pour lui ou envers quiconque : c'est une dure-à-cuire. Du moins dans l'image qu'elle veut afficher, car au fond d'elle-même... Des chapitres courts, un récit raconté à la première personne par l'héroïne, une belle dose de non-conformisme, un témoignage sur une ville hors norme et une multiplication de péripéties, voilà ce qui rend réjouissant cet excellent suspense de Sara Gran.
Je découvre avec ce roman l'Américaine Sara Gran qui a déjà été éditée par Sonatine dans le passé pour " Viens plus près " et " Dope ". On la retrouve donc au Masque avec une héroïne do...
http://www.unwalkers.com/la-ville-des-morts-de-sara-gran-editions-du-masque-en-musique-svp/
Wollanup chronique aussi ce roman chez Unwalkers (cliquez).
Et l'ami Pierre Faverolle a aussi adoré ce roman (cliquez).