Karl Kane est détective privé à Belfast, secondé par sa jeune amante Naomi Kirkpatrick. Geraldine, dix-sept ans, et Martina Ferris, seize ans, sont issues d'une famille de junkies de Dublin. Elles sont clean depuis plusieurs mois. Logeant en foyer à Belfast, Martina est coutumière des fugues. Cette fois, elle ne donne plus de nouvelles depuis trop longtemps. Très inquiète, sa sœur Geraldine engage Karl Kane. Le "privé" rencontre l'aimable Beverly Thompson, directrice du foyer, qui a déjà fait vider les maigres affaires de Martina Ferris. Malgré l'inhabituelle chaleur sur la ville, l'émule d'Humphrey Bogart se renseigne dans la vieille église squattée, du côté de Custom House. Cathy le Chat y règne en maîtresse sur une flopée de clodos. Elle n'est pas loquace concernant Martina, pourtant venue par ici.
Deux adolescentes assassinées après des maltraitances ont été examinées par Tom Hickx, ami légiste de Karl Kane. L'une fut trouvée en centre-ville, l'autre vers Black Mountain. Le médecin suppose une perversion sexuelle assez monstrueuse chez le tueur, qui a prélevé des organes sur les corps. Kane obtient ces infos à l'insu de son beau-frère Mark Wilson, patron de la police de Belfast, car les deux hommes se détestent cordialement. Dès le lendemain, les deux filles de dix-huit et quatorze ans sont identifiées. Il ne s'agit pas de Martina. C'est Ivana, amie transsexuelle de Naomi et Karl Kane, qui leur indique le suspect ayant le bon profil, Robert Hannah. S'il a effectivement un passé trouble et pervers, les policiers se refuseront à interroger ce notable socialement intouchable.
À ce stade, le détective sent la nécessité de se procurer des armes pour se protéger. C'est à Ivana qu'on s'attaque ensuite sans pitié. Karl Kane estime ne pas pouvoir faire confiance à l'inspecteur néophyte Malcolm Chambers pour élucider cette affaire-là. Peu après des menaces téléphoniques, le détective est agressé avec violence sans pouvoir répliquer. Il ne tarde toutefois pas à se venger du nommé Lennon, l'intermédiaire chargé de le cogner. En Écosse, le corps d'une jeune fille a été rejeté sur le rivage, du côté de Mull of Kyntire. On craint qu'il s'agisse de Martina Ferris, cette fois. Espérer amadouer Cathy dans cette église squattée, afin qu'elle avoue ce qu'elle sait sur les pauvres oies blanches qu'elle abrita ? Ça va occasionner pour Karl une rencontre cauchemardesque avec un Jésus sanguinaire.
Un nouveau cadavre dans la rivière Lagan, plombé avec le flingue qu'avait acquis le détective ? L'élimination de témoin, suite logique de sa virée en Enfer. Avec son ami Willie, auquel aucune serrure ne résiste, Karl explore une bâtisse à l'air sinistre. Il pénètre dans l'univers malsain de l'adversaire à ses risques et périls. Le retour à Belfast de Katie, la fille de Karl, change la donne. Pour le détective, mais aussi pour son ex-femme Lynne, et pour son beau-frère Mark Wilson. Même si la police interroge enfin Robert Hannah, ce n'est pas sur elle que Karl Kane va compter pour voir le bout du tunnel...
L'ambition de Sam Millar n'est pas de dépeindre un énième tueur en série, dans un de ces scénarios horrifiques dont on nous a tant gavés (c'est le mot). C'est, dans la meilleure tradition héritée d'Hammett et Chandler, de conter une authentique “histoire de détective privé”. On n'échappe pas à certains clichés ? Le “privé” s'entend mal avec la plupart des flics, il est l'amant de son assistante, il est désargenté voire endetté, sa santé n'est pas au beau fixe, il prend de sévères coups qu'il essaie de rendre au centuple, il traque la vérité dans les recoins les plus sombres ? Et sa route est jonchée de cadavres sanglants, tandis qu'un monstre d'une infinie cruauté, tapi dans l'ombre, poursuit ses morbides exactions ? Tant mieux, puisque ces images sont liées à ce type de personnages. Les ignobles criminels sont ses ennemis naturels, et le danger appartient à son quotidien, pas vrai ?
Par ailleurs écrivain en quête d'éditeur, partenaire un peu maladroit envers Naomi, Karl Kane se sait imparfait. Il avance de façon empirique, profitant d'infos glanées çà et là, sans méthode apparente. Il préfère les petites plaisanteries à moitié drôles aux effets comiques. Notons pourtant le souriant double palindrome "Bob Hannah". Fataliste, il ne vise pas une empathie à son égard : le “privé” reste solitaire, ou introverti. Néanmoins, la seconde partie de l'histoire va prendre une connotation très personnelle. C'est avec un enthousiasme certain que l'on suit les investigations de ce détective nord-irlandais.
Sam Millar : Les chiens de Belfast (Éd.Seuil, 2014) - Le blog de Claude LE NOCHER
http://www.action-suspense.com/2014/01/sam-millar-les-chiens-de-belfast-%C3%89d.seuil-2014.html
La précédente aventure de Karl Kane, disponible en poche chez Points.
Récompensé par un Trophée 813, Sam Millar se raconte dans "On the Brinks".