Parmi les polars disponibles en format poche dès ce mois de janvier 2015, en voici deux qu'il faut absolument retenir.
Zygmunt Miloszewski : "Les impliqués" (Pocket, 2015)
Varsovie, juin 2005. Magistrat âgé d'environ trente-cinq ans, Teodore Szacki a déjà les cheveux blancs. Il est marié depuis dix ans à Weronika, conseillère juridique employée à l'hôtel de ville, et passionnée de football. Ils ont une fille de sept ans, Hela. Teodore Szacki n'est, en tant que procureur, qu'un des modestes rouages de la justice polonaise. Avec son ami policier Oleg, ils se complètent fort bien. Les dossiers ne manquent pas, dont beaucoup en attente de CSS, classement sans suite. Il parvient parfois à en relancer un, tel le viol et le meurtre d'une ado disparue, dont le cadavre fut enterrée dans une cour d'école. L'affaire sera semi-élucidée. Dans un autre cas, face à une meurtrière ayant tué son mari non sans raison, le procureur Szacki ne retiendra qu'un crime accidentel.
Le docteur Cesary Rudzki a organisé durant le week-end un exercice thérapeutique pour quatre de ses patients, louant des locaux à l'église de la Vierge Marie de Czestochowa. Le dimanche matin, le cadavre d'Henryk Telak est découvert, tué d'un coup de broche à rôtir dans l'œil. Une affaire à sensation, sur laquelle la belle journaliste Monika voudrait obtenir des détails. Bien que mari fidèle, Szacki s'avoue désirer une relation intime avec Monika. Selon le premier rapport d'Oleg, le psy Rudzki ferait un bon suspect. Szacki interroge les patients, la prof Hanna, la comptable Barbara, et Ebi Kaim. Le docteur Rudzki explique au procureur la méthode utilisée pour cette thérapie, des jeux de rôles très intenses. Henryk Telak était le cas principal, ce week-end. Car l'ambiance familiale de la victime est assez mortifère. Jadwiga Telak, l'épouse de la victime, confirme. Le fils de quatorze ans, malade en sursis, est également interrogé. Sur son dictaphone, Henryk Telak enregistra entre autres un message d'adieu...
Bien que l'énigme soit le moteur de ce premier roman de Zygmunt Miloszewski traduit chez nous, on trouve ici bien d'autres aspects passionnants. D'abord, à travers la personnalité du procureur. Il sait que sa fonction est sans prestige, exigeant pourtant un discernement humaniste. Outre qu'il a d'autres dossiers en cours, on le voit troublé à la fois par cette curieuse thérapie qui entraîna un meurtre, et aussi par sa relation avec une journaliste. Dans un cas criminel, le doute habite toute personne sensée : le portrait nuancé de ce magistrat enquêteur s'avère très réussi. Ce qui distingue un roman noir, c'est son contexte. Nous sommes ici dans la Pologne postcommuniste, une quinzaine d'années après l'avènement de la démocratie. À travers le métier de Weronika, l'épouse du héros, on constate que des lourdeurs administratives restent présentes. Le procureur gagne correctement sa vie, mais semble attentif à ne pas gaspiller d'argent… Voilà un suspense noir qui ne possède que des atouts très favorables.
Walter Mosley : "Les griffes du passé" (Babel Noir, 2015)
Âgé de cinquante-quatre ans, Leonid McGill a longtemps participé au plus sales activités de la vie new-yorkaise. Ce Noir encore athlétique, boxeur amateur, a tourné la page en devenant détective privé. Ses relations avec les flics restent diverses. À son égard, la policière Bonilla fait preuve d’empathie, mais l’inspecteur Kitteridge espère toujours le coincer pour ses méfaits passés. Quant au capitaine Charbon, c’est l’adversaire le plus dangereux du détective. Côté familial, pas brillant non plus pour McGill. Son épouse Katrina et lui sont aussi infidèles l’un que l’autre. McGill reste obsédé par la belle métis Aura Ullman. Elle l’a quitté pour le directeur financier gérant l’immeuble prestigieux où il a ses bureaux.
Sur le conseil de son fils, le détective engage la toute jeune Mardi Bitterman. Celle-ci ayant déjà connu de lourdes épreuves, elle va se montrer une secrétaire efficace. McGill connaît des contrariétés avec ses garçons. Twill, le fils très débrouillard de Katrina, et Dimitri, l’ombrageux fils de McGill, se sont entichés de filles de l’Est. Ils ont disparu avec elles, restant vaguement en contact. Katrina s’inquiète à juste titre. Pas sorcier d’imaginer que ces trop jolies filles appartiennent à un réseaux mafieux. En l’occurrence, celui d’un slave nommé Gustav. Si McGill ne craint guère les sbires de ce type retors, une explication invoquant une erreur ne suffit pas à régler la situation. Alphonse Rinaldo, conseiller spécial de la ville de New York, est en réalité un caïd mafieux auquel McGill ne peut refuser aucun service. Sans s’expliquer, Rinaldo exige que le détective retrouve et protège Angélique Tara Lear. C’est d’abord sur un double meurtre que tombe McGill. Une certaine Wanda Soa, fille de riches parents brésiliens, a été assassinée avec violence. Son meurtrier, un inconnu, est également mort dans la même pièce. Les flics étant sur l’affaire, ils posent d’embarrassantes questions à McGill. L'affaire s'annonce pleine de coups tordus...
Après “Le vertige de la chute”, la deuxième aventure de Leonid McGill, aussi excitante que la première. De plus en plus foisonnante, même. Le fil conducteur étant l’enquête autour d’Angie, le détective utilise ruse et force pour progresser. L’univers de McGill est bien loin d’investigations linéaires, ponctuées de quelques effets et de révélations soudaines. Son expérience s’est construite sur des erreurs, il le sait trop bien. Si son existence est encore plus compliquée que pour la moyenne des new-yorkais, McGill s’en accommode. Il se souvient chaque jour des leçons que lui inculqua son père idéaliste. Son principal enseignement étant, sans doute, qu’il faut toujours trouver un moyen de se sortir des situations périlleuses. C’est un pur bonheur de suivre les nouvelles tribulations de Leonid McGill, véritable héros humaniste de roman noir.