Un immeuble en chantier sans gardien, rue du Laos, Paris 15e. Dans la cave, le cadavre d'une quadragénaire morte là depuis plus d'une semaine. La victime ligotée a été mutilée, torturée, bras brûlé et langue sectionnée. Étrange constatation : ces blessures ont été soignées, et le corps martyrisé déposé tel un gisant médiéval. C'est une ado anonyme qui a donné l'alerte en pleine nuit. Le groupe du commandant Bastien Carat, de la Brigade Criminelle, est chargé de l'enquête. Une équipe un peu bancale et démotivée, marquée par l'exclusion d'un des leurs, Colin Mansour, meilleur ami de Carat. Il a été remplacé par Franka Kehlmann, venue de la Brigade Financière, protégée par la divisionnaire Christine Santini. La nouvelle ne demande qu'à faire ses preuves, malgré un frère embarrassant, Joey. Enfants d'une défunte chanteuse et d'un universitaire agressif, Franka et son frère ont une histoire familiale chargée. Pour elle, leur père fait figure de “chacal”.
L'heure serait à l'efficacité, en récoltant rapidement un maximum d'élément, bien qu'on ne dispose ni d'empreintes, ni de traces ADN. Car on a probablement affaire à un prédateur, un méchant dingue cruel et précis. Si Bastien Carat se méfie de sa supérieure Christine Santini, il peut compter sur le soutien amical du juge d'instruction Seimourt. Garder un contact positif avec son ex-collègue Mansour, qui est en soins psys, paraît de moins en moins possible. Les ouvriers du promoteur Victor Frey ayant travaillé sur le chantier figurent parmi les premiers suspects. L'un d'eux, Teddy Brunet, aurait le profil adéquat. On procède à son arrestation musclée chez son ancienne petite amie sage-femme. Un coupe-boulon peut incriminer Brunet. Il sera défendu par un célèbre avocat, Louis Bagneux, qui ne semble pas redouter l'accusation contre ce véhément client.
Quand Colin Mansour prend contact avec Franka, c'est visiblement dans le but de semer la discorde dans le groupe de Carat. La jeune policière garde le cap dans l'enquête, notant les petits troubles de santé de son chef. Maître Bagneux, ami du promoteur Frey, s'affiche en esthète bienveillant : il a remarqué les qualités de photographe de Joey. Peut-être cet avocat joue-t-il un trouble jeu. Néanmoins, on finit par réaliser que la nervosité de Brunet était explicable. La victime est enfin identifiée : Victoire Pélissier était médecin au Samu.
“Tu baigneras dans la lumière. Tu seras noyée dans l'étang de feu” : cette formule tirée de l'Apocalypse indique aux enquêteurs qu'ils ont affaire à un prédateur mystique. Un ami du juge Philippe Seimourt, historien spécialiste de la torture, cerne pour Carat l'esprit de l'assassin. La calligraphie intervient sûrement dans son processus mental. Plus tard, on s'apercevra que des phénomènes naturels sont aussi prétextes déclencheurs. L'enquête devient fatigante pour Carat, qui aimerait consacrer plus de temps à son épouse Garance, chef cuisinière. Pour Franka, les tentatives de retour de leur père nuisent quelque peu à sa concentration. Une affaire datant d'une dizaine d'année présente des analogies avec le cas de Victoire Pélissier. Un homme retrouvé dans un canal avait aussi été amputé de la langue…
Ce n'est évidemment pas un ordinaire roman d'énigme, avec assortiment de suspects et enquête rectiligne, que nous propose Dominique Sylvain. Auteure confirmée, elle entraîne son public sur les pas d'un assassin mystique, en prenant bien garde de ne pas “surdoser” ses effets. Elle sait qu'il serait contre-productif de charger l'ambiance, de miser sur l'excès de croyances délirantes, dans cette intrigue ou la motivation criminelle est autre. Finesse et méandres vont agréablement de pair dans le récit.
Certes, un climat de mystère règne ici, mais c'est davantage à travers chaque personnage et son univers privé. Ce sont des portraits fouillés, riches en nuances, voire en demies-teintes, que dessine Dominique Sylvain. Ainsi, sous son air de catcheur, Bastien Carat masque une part de fragilité. Ou encore, le suicide passé de leur mère crée entre Franka et Joey un lien fort subtil. Et l'on peut discerner que le cas de Colin Mansour n'est pas si extérieur, bien sûr. En somme, si tous portent leur croix, celle de l'adversaire des policiers s'avère la plus pesante. Notons que l'auteure glisse la différence entre les tueurs-en-série américains, souvent cruels par goût, et les quelques cas français. Toutefois, la férocité du prédateur reste mortelle jusqu'au bout de cette affaire. Un suspense aussi sombre que palpitant, une belle réussite.