Pour ce Noël 2014, Action-Suspense vous propose un petit quiz. Savourez cet extrait d'un grand classique de la Série Noire, dialogue entre le héros et un flic. Êtes-vous capable de reconnaître ce roman, son auteur, son personnage principal ? N'hésitez pas à suggérer vos réponses dans les commentaires !
« J'allai à la salle de bains et tamponnai à l'eau froide ma joue tuméfiée. Je me regardai dans le miroir, j'avais la pommette en compote, avec des reflets noirâtres et des balafres ouvertes par le canon du pistolet. Mon œil gauche était, par-dessus le marché, souligné d'un coquard blême. Je n'allais pas être beau à voir pendant quelques jours.
Là-dessus, j'aperçus le reflet d'Ohls dans la glace. Il faisait rouler entre ses lèvres son éternelle cigarette non allumée, comme un chat qui asticote une souris à moitié morte, essayant de la faire courir une dernière fois.
— La prochaine fois, n'essaie pas de faire le mariolle avec les flics, dit-il (…)
Je me tournai vers Ohls.
— Les coyotes du désert auront de quoi se nourrir cette nuit. Félicitations. Le métier de flic élève vraiment l'âme, Bernie. Le seul problème dans la police, ce sont les policiers.
— Dommage pour toi, héros, dit-il avec une férocité soudaine. J'ai eu du mal à pas rigoler quand tu es rentré chez toi pour te faire tabasser. Ça m'a fait plaisir, figure-toi. C'était un sale boulot qui devait être fait salement. Pour faire parler ces gens-là, il faut leur donner un sentiment de puissance. T'as pas été trop amoché, mais il fallait bien les laisser te sonner un peu.
— Désolé, désolé que tu aies dû souffrir comme ça.
Les traits tendus, il me dévisagea agressivement.
— Je peux pas encaisser les gens qui vivent du jeu, dit-il avec une violence soudaine. Ils sont aussi dégueulasses que les trafiquants de drogue. Tu t'imagines que dans leurs grosses boîtes de Las Vegas ou de Reno, il n'y a que des types pleins aux as qui vont se ramasser au jeu pour se marrer ? Mais c'est pas ceux-là qui font marcher le racket, c'est la foule des pauvres pigeons qui paument régulièrement le peu de fric qu'ils peuvent mettre de côté (…) Et chaque fois que le gouvernement prend sa part sur le jeu en appelant ça des impôts, il contribue à la prospérité de la pègre. Le coiffeur du salon de beauté y va de ses deux dollars, ils sont ramassés par le syndicat qui fait son beurre. Les gens veulent une police honnête, non ? Pourquoi ? Pour protéger les bookmakers ? Nous avons des courses de chevaux légales dans cet État toute l'année. Elle ne sont, en principe, pas truquées, et l’État touche sa part (...) Ça c'est du jeu légal, mon pote, un business réglo, sans bavure approuvé par l’État. Alors, tout va bien, non ? Mais pas pour moi ; pas du tout. Parce que c'est un truc qui engraisse les flambeurs. Et, tout bien pesé, il n'existe qu'une forme de jeu : l'arnaque.
— Alors, ça va mieux ? Lui demandai-je en tamponnant mes blessures à l'iode décoloré.
— Je ne suis qu'un vieux flic flapi et blasé. Et je suis en rogne, voilà tout.
Je me détournai pour le regarder.
— Tu es un flic épatant, Bernie, mais tu te plantes complètement. En un sens, les flics sont tous pareils. Ils interviennent toujours à tort. Si un type perd sa chemise au craps, interdisez le jeu. S'il se cuite, interdisez l'alcool. S'il tue quelqu'un dans un accident de voiture, arrêtez de fabriquer des bagnoles. S'il se fait pincer avec une nana dans une chambre d'hôtel, interdisez la baise. S'il tombe dans l'escalier, ne bâtissez plus de maisons.
— Oh, la ferme !
— Que je la ferme, surtout ! Je ne suis qu'un citoyen quelconque. Passe la main, Bernie. Si on a des truands, des mafieux, des équipes de tueurs, ce n'est pas à cause des politiciens véreux et de leurs acolytes à la mairie et dans les tribunaux. Le crime n'est pas une maladie, c'est un symptôme. Les flics me font penser aux toubibs qui te refilent de l'aspirine pour une tumeur au cerveau, tandis que les flics la soigneraient plutôt à la matraque...»
© Gallimard.