Âgé de quarante-trois ans, George Gattling est originaire de Bainbridge, en Géorgie. Il vit à Gainesville en Floride. Il exploite un atelier de sellerie automobile, expert en capitonnage intérieur des voitures. Il a une belle clientèle grâce aux universitaires et aux étudiants du secteur. Sa sœur Precious et son fils de vingt-deux ans, Fred, habitent avec lui. Fred est un simplet, un attardé mental fort attachant. George a pour amante l'étudiante Betty, dix-neuf ans, qui joue quelque peu avec lui. La grande passion de George, ce sont les rapaces. Dans une nature devenant de plus en plus artificielle par ici, il piège des faucons, avec des rats comme appâts. Cette fois-là, ce n'est pas un petit épervier, c'est un beau faucon qu'il est parvenu à capturer. Une femelle, en réalité, selon George.
Bien que son savoir théorique soit vaste sur la question, ayant lu des tas d'ouvrages, il espère ne pas se planter pour dresser l'animal. L'attacher à une souche, puis l'affamer oui, mais pas trop. Enfermer dans un placard de précédentes prises a entraîné leur mort. Ce n'est pas son vieux copain et employé Billy Bob, aussi natif de Bainbridge, qui comprendra l'esprit de la fauconnerie. C'est un manuel doué, qui préfère s'enivrer le dimanche avec la famille de George. La mort soudaine et curieuse du jeune Fred bouleverse la vie des Gattling. Si leur groupe familial était singulier, ça leur procurait jusqu'à là un équilibre. Entre ce décès mal explicable et l'affaitage de son rapace, George risque de virer maboul. Heureusement, Billy Bob se charge des diverses formalités.
Quant à Betty, elle trouve malsaine, sadique, la fascination de son amant pour le dressage d'oiseaux de proie. Cette fille est sans nul doute sexuellement décomplexée. Pourtant, à cause des circonstances qu'ils traversent, Betty découvre la jouissance avec un certain trouble. Ce n'est pas du côté de Ma, sa sévère mère, que George peut espérer réconfort et compréhension. Il est vrai qu'avec ce faucon qui ne quitte plus son poing ganté, normal que George passe pour un cinglé aux yeux de ses proches. Y compris d'Alonzo, le père absent du pauvre Fred, que George va devoir affronter.
Le voilà bientôt pourchassé par le pasteur Roe, Billy Bob et les autres. À l'abri de la forêt, George imagine le meurtre de Fred : “Bien sûr qu'il se soupçonnait. Il se soupçonnait de tout. Depuis toujours.” Il rejoint Betty, pour qu'elle l'aide à entrer au funérarium où repose Fred. Elle sait convaincre le croque-mort. “Les gens ne se pointent pas à quatre heures du mat' avec un faucon sur le bras. Les gens ne font pas ça, sauf s'ils sont barjots. Ça, il peut le comprendre.” Il y aura quelques complications, quand même…
Aux États-Unis comme partout, la réussite sociale est la vertu majeure. Diriger sa petite entreprise, avoir sa place dans une agréable ville universitaire de Floride, être convié à des cocktails mondains, lutiner une petite amie pas farouche, le quadragénaire George Gattling a déjà “gagné” tout cela. Telle n'est pas la vraie nature de son caractère. C'est un solitaire dans l'âme. Le regard des autres lui importe de moins en moins. Peut-être un peu l'opinion de Betty qu'il voudrait impressionner, mais il se moque du reste.
Ce n'est que de l'hypocrisie, si l'on n'accomplit pas ce que l'on veut réellement. Il y a ceux qui se sentent bien dans une existence formatée, et d'autres qui ont viscéralement besoin de choisir une autre voie. George est obsédé par la fauconnerie. Pour lui, l'aptitude à dresser des rapaces est la seule “reconnaissance” qu'il souhaite. Ce qui le marginalise, bien sûr. D'autant qu'il devrait montrer davantage d'affliction, suite au décès de ce neveu handicapé qu'il aimait. Ce serait retomber dans une normalité dont il s'est écarté. C'est d'ailleurs Betty qui exprime le mieux cette idée : “Si tu veux être quelqu'un, si tu veux apprendre quelque chose, faire quelque chose, il faut être hors norme. Tout ce qui est normal, c'est du pipeau. La normalité, c'est de la merde.”
Ce n'est pas la mort qui domine cette histoire. C'est le droit à une liberté égoïste. Quitte à s'enfermer dans un délire personnel, qui passera pour de la folie dans votre entourage. Ce qui fait penser à cette réplique de Gabin dans “Un singe en hiver” : “J'ai pas encore les pieds dans le trou, mais ça vient, bon dieu ! Tu te rends pas compte que ça vient ? Et plus ça vient, plus je me rends compte que j'ai pas eu ma dose d'imprévu ! Et j'en redemande. T'entends ? J'en redemande !” George Gattling a aussi besoin de l'ivresse de la liberté, de ne plus se soumettre – fut-ce pour un temps donné – au poids des conventions.
Publié en 1973, “Le faucon va mourir” a été traduit (par Francis Kerline) en 2000 dans la Série Noire, avant une réédition sous couverture illustrée en 2003. “The hawk is dying” a été adapté au cinéma par Julian Goldberger en 2006, avec Paul Giamatti, Michelle Williams, Michael Pitt, Rusty Schwimmer, Robert Wisdom, sous le titre français “Dressé pour vivre” (sorti en 2008). Un inédit de Harry Crews, “Les portes de l'Enfer” est annoncé chez Sonatine Éditions, pour l'automne 2015.