En ce 11 novembre 1968, New York commémore le cinquantenaire de l'Armistice de 1918, dans la joie. “Altman lui-même avait du mal à croire que cette date était arrivée pour de bon. Cinquante années avaient passé depuis la fin de la Grande Guerre, et les prédictions improbables de quelques optimistes à tout crin s'étaient avérées justes.” Âgé de soixante-quinze ans, Franklin Altman est un bibliophile érudit. Ce marchand de livres anciens s'est spécialisé dans les ouvrages et manuscrits datant d'après la guerre de 1914-1918, époque où son pays d'origine était au bord de l'effondrement économique et social.
Prénommé à sa naissance Ziegfried, Altman appartenait à une famille berlinoise aisée. Il fit de brillantes études, avant de participer au conflit mondial. Il ne fut pas un combattant, ayant été affecté aux services de renseignement à Berlin, où sa maîtrise de l'anglais était sûrement utile. Malgré la défaite, les agents furent décorés par le Kaiser. Altman quitta sa famille fortunée installée en Autriche peu après, direction l'Angleterre puis les États-Unis. En expert, il collectionna les livres publiés en cette période trouble d'après-guerre. Il lui arrive, comme en ce jour symbolique, de donner des conférences en public.
Parmi les lecteurs venus écouter son exposé dans cette librairie, il y a un petit homme qui semble vouloir le rencontrer ensuite. Âgé de soixante-dix-neuf ans, l'individu à l'air d'un pauvre diable, à “la silhouette spectrale, pâle comme un fantôme”, vêtu modestement et peu à l'aise pour s'adresser à Altman. Il s'agit d'un ancien condisciple, qui fréquenta la Realschule de Linz en ce temps-là. L'individu falot, usé par la vie, n'en garde pas d'aussi bons souvenirs que ceux d'Altman, dont un oncle enseignait l'anglais dans l'établissement. Le bibliophile l'invite à dîner dans un snack voisin, où il a ses habitudes.
L'homme fut soldat sur le terrain durant le conflit. Il en conserve une certaine amertume. Il vit mourir des amis, des fermiers bavarois comme lui. Son après-guerre fut nettement moins doré que celui de Franklin Altman. Outre le sentiment de trahison, il vécut dans la misère, avant de quitter l'Allemagne. Il fut docker, sur les quais de Brooklyn. Rien d'aussi prestigieux que le métier de son ex-condisciple. Néanmoins, il a écrit un livre, une sorte d'autobiographie sur son expérience de l'époque, contenant un épisode marquant pour lui. Un manuscrit qui est resté inédit depuis bientôt cinquante ans…
Thomas H.Cook s'est imposé parmi les meilleurs écrivains américains grâce aux suspenses très personnels dont il est l'auteur. La construction des intrigues et la psychologie y sont toujours d'une finesse exceptionnelle. Ici, c'est une nouvelle de soixante-dix pages qu'il propose aux lecteurs. Elle s'inscrit dans un contexte historique, sur fond de guerre. “C'est surtout l'histoire de deux hommes, dont aucun ne comprend l'Histoire avec un grand H, et à la fin du récit, aucun des deux ne la perçoit mieux qu'au début” explique Thomas H.Cook dans l'interview qui suit le texte.
Rencontre entre deux expatriés allemands, où l'un affiche une arrogance élitiste, où l'autre garde en lui une sourde rancune. Le temps qui passe peut aveugler ceux qui se pensent supérieurs, il n'efface rien quand on se sait victime. Un texte plus court que d'ordinaire, qui se lit avec autant de plaisir que les autres œuvres de Thomas H.Cook.
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