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3 novembre 2014 1 03 /11 /novembre /2014 05:55

Quand se tient le procès de Jean Chardin, il est âgé de trente-neuf ans. Homme costaud, obèse et mollasson, il est accusé de viol sur mineure commis trois ans plus tôt. Isabelle Delcourt, sa victime, avait seize ans. Il ne l'a pas tuée, ce qui apparaît assez surprenant. L'étudiante indemne assiste au procès, prenant quantité de notes, au côté de son avocate. La famille Chardin a été durablement marquée par la déveine, en particulier à cause des déboires du père, boucher. Sa femme, sa fille, son fils, et lui ont vécu dans un trop petit logement, dans une promiscuité dérangeante. Enfant et ado, Jean Chardin n'était pas de ceux qui se font beaucoup de copains, ni qui plaisent illico aux filles. Sympa et serviable, il l'était pourtant. Il était plutôt gros, mais jamais agressif envers quiconque.

Outre le confinement familial, la solitude lui convenait aussi parfaitement. La preuve, c'est que quand il s'installa seul dans son studio à l'âge de vingt-sept ans, son ambition restait de vivre “peinard”. Bon mécanicien apprécié de son patron, il avait un job dans un garage. Jean Chardin donnait volontiers un coup de main à des copains ou à la famille pour des petits travaux de maçonnerie. Ayant acquis une camionnette blanche d'allure banale, il en prenait grand soin. À l'intérieur, un panneau équipé pour la pêche et un autre pour tout le bricolage, aménagés par lui-même. Plus un matelas pouvant lui servir de lit. Car, libre de ses loisirs puisque sans compagne, Jean Chardin aimait s'offrir de temps à autres un petit séjour en bord de mer. Un plaisir sans doute moins anodin qu'il ne semblait.

À l'âge de dix-neuf ans, Jean Chardin fit deux ans de prison pour attouchements sexuels sur mineure. Une accusation certainement exagérée. Il promit à son entourage de ne plus faire de bêtise. Néanmoins, au bord de la mer, les gamines largement dénudées sont fort attirantes sur leurs vélos. Paré de ses lunettes de soleil ocres, il ne les effraie pas malgré sa stature. Irène (fuguant avant son mariage), Mélusine (bientôt seize ans), Jeanne (dix-sept ans) l'ont croisé, pour leur malheur. Il y eut un précédent en Espagne, à San Sebastian, en 1998. Sa sexualité étant basée sur des films X, c'est la domination qui guide à chaque fois Jean Chardin. Ruses grossières pour les attirer, suivies de violences sexuelles.

La dernière fut donc Isabelle Delcourt. Dès l'enfance, elle se méfia des adultes, garda ses secrets. La séparation de ses parents, quand elle avait quatorze ans, affermit encore son caractère, elle qui se montrait déjà peu liante. Quand son amie Cécilia l'initia au théâtre, Isabelle s'ouvrit un peu plus. Elle adopta quand même Yann, le nouveau compagnon de sa mère. Il sera un allié, le moment venu. L'agression, sauvée par les mots qu'elle prononce. Le procès, qu'elle affronte avec une sérénité quelque peu étonnante. Si le père de Chardin est intransigeant, les témoignages de la défense plaident plutôt en faveur de l'accusé. Ce dernier voit en Isabelle “un petit sphinx” dont il convient de se méfier…

Sylvie Granotier : Personne n'en saura rien (Albin Michel, 2014)

Sylvie Granotier est une des romancières les plus douées pour concocter des suspenses psychologiques. Avec “Personne n'en saura rien”, elle le démontre une fois de plus. Nous raconter in-extenso le procès d'un pervers pourrait être intéressant, mais n'aurait rien de novateur. Évoquer les crimes pédophiles, les disparitions d'enfants, c'est se souvenir des cas d'Estelle Mouzin, de Natascha Kampusch, ou même du procès fait à Michaël Jackson. Autant d'affaires complexes : voilà ce que Sylvie Granotier souligne à travers les portraits de l'accusé et de sa victime. La vérité ne suit pas un chemin linéaire dans ces dossiers-là.

Jean Chardin, un “prédateur sexuel” ? La formule est médiatique, trop floue. D'une bonne intelligence moyenne, possédant du sens pratique, se laissant rarement entraîner par ses pulsions, il n'est pas vraiment conscient de sa monstruosité. Il copie sa vie sexuelle d'après les films X par facilité, sans y réfléchir. Il récidive, juste parce que l'occasion s'en présente. Quant à Isabelle, victime plus “chanceuse” ? Pas exactement. Il faut observer l'évolution de sa vie si l'on veut comprendre son caractère. L'entourage mi-protecteur mi-distant de l'ogre, celui plus perturbé de la jeune fille : au final, ces univers ont un sens.

C'est avec une belle maestria que Sylvie Granotier dépasse l'intrigue classique, pour nous proposer un suspense remarquable.

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commentaires

P
En fait, il y a bien, non pas un mais deux peintres nommés Chardin.<br /> Celui auquel je pensais, sans connaître ses prénoms :<br /> <br /> http://fr.wikipedia.org/wiki/Jean_Sim%C3%A9on_Chardin<br /> <br /> Et l'autre, dont je découvre à l'instant l'existence :<br /> <br /> http://fr.wikipedia.org/wiki/Gabriel-Gervais_Chardin<br /> <br /> Quant au père Pierre Teilhard de Chardin, oui, bien sûr, homme remarquable, d'une très grande richesse spirituelle, éminent sinologue comme le Belge Simon Leys, brancardier pendant la guerre de 14 comme François Mauriac. Mais surtout connu connu du grand public - dont je fais partie - pour avoir participé en 1931-1932 à la Croisière jaune organisée par André Citroën afin de démontrer la qualité des voitures autochenilles. Dans le groupe Chine commandé par Victor Point, le groupe Pamir l'étant par Georges-Marie Haardt. Ce qui est raconté dans le feuilleton &quot; La Cloche tibétaine &quot; ( 1975 ) avec Wolfgang Preiss, Gilles Béhat, Coluche, Philippe Léotard. Avec au générique la phrase &quot; Tout ce qui s'est fait de grand s'est fait au nom d'espérances exagérées &quot; . Jules Verne.<br /> Dans le dernier épisode, Haardt meurt sur le chemin du retour. Dans son dernier instant, il demande au père Teilhard de Chardin - j'ai oublié le nom de l'acteur, le vrai est mort en 1955 à New York - de lui réciter un poème chinois vieux de trois mille ans.<br /> <br /> Il y a plusieurs années, à l'église Saint-Etienne-du-Mont - près de chez moi, du lycée Henri IV, du Panthéon ou de la Bibliothèque Sainte-Geneviève ou encore de la Bilipo - , j'ai rencontré le père Olivier Teilhard de Chardin, petit-neveu de Pierre.<br /> <br /> Cordialement
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C
Cher Philippe<br /> Dans &quot;La cloche tibétaine&quot; (que j'avais suivi avec la passion de mes seize ans), le chef mécanicien était joué par Gérard Chevalier. Qui s'est reconverti sur ses vieux jours :<br /> http://www.gerard-chevalier.com/les-livres.html<br /> <br /> En ce temps-là, j'avais lu précédemment ce livre, qui relatait de façon romancée mais proche cette histoire : <br /> http://livre.fnac.com/a1289930/Jacques-Wolgensinger-L-epopee-de-la-croisiere-jaune<br /> <br /> Ouf, vous m'avez fait peur, j'ai craint que le père Olivier Teilhard de Chardin soit le fils ou le petit-fils de Pierre Teilhard de Chardin. Car, comme dit cet échange entre deux prélats :<br /> &quot;Vous croyez que nous verrons un jour le mariage des prêtres ?<br /> &quot;Sûrement pas, mais pour nos fils, c'est possible.&quot;<br /> Amitiés.
P
Regardez, l'auteur du site Furrowed Middlebrow ( sur les femmes britanniques auteurs du 20ème siècle ) avait délaissé ce site environ deux semaines le temps d'un voyage en Italie. Il vient de rentrer chez lui à San Francisco et, avant de reprendre demain le sujet principal, propose aujourd'hui un compte-rendu de l'Italie, avec des photos que je vous invite à contempler. Peut-être comme moi y trouverez-vous des lieux où vous avez aussi été ?<br /> <br /> http://furrowedmiddlebrow.blogspot.fr/2014/11/all-good-things.html<br /> <br /> Cordialement
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C
Venise, Florence, Pise, Rome, Sienne, Pompéi, j'espère qu'il n'a pas fait tout ça &quot;au pas de course&quot; comme dans l'excellent film &quot;Mardi, c'est donc la Belgique&quot; :<br /> http://fr.wikipedia.org/wiki/Mardi,_c%E2%80%99est_donc_la_Belgique<br /> Un peu d'humour, avec cette vieille blague :<br /> &quot;Tu étais en vacances en Italie ? Super ! Et qu'est-ce que tu as vu de beau comme sites, comme paysages ?<br /> &quot;J'sais pas : j'ai pas encore développé les photos.&quot;<br /> Amitiés.
P
Bonjour M. Le Nocher,<br /> <br /> Chardin était le nom d'un peintre n'est-ce pas ?<br /> <br /> Cordialement
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C
Je dirais que c'était plutôt un théologien, cher Philippe :<br /> http://fr.wikipedia.org/wiki/Pierre_Teilhard_de_Chardin

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