Jacques Langlois, conseiller éditorial de cet album, le souligne : chaque fois que les héros d'Hergé doivent embarquer, ils filent « au port, en vitesse » comme le dit Tintin à Milou dans “Le crabe aux pinces d'or”. Le temps d'enfiler son imperméable, et voilà le reporter sur les quais, face au Karaboudjan. C'est que pour les Belges, le Littoral n'est jamais bien loin. Pourtant, quand Hergé s'apercevra qu'il vaut mieux illustrer un vrai port, c'est de celui de Saint-Nazaire qu'il va s'inspirer. Cette ville lui rend hommage depuis.
Tintin voyage seul avec Milou dans ses premières aventures, y compris sur le Normandie quand il quitte New York. La présence du capitaine Haddock va ajouter un supplément maritime aux tribulations du jeune reporter. C'est que ce personnage, qui ne dédaigne pas les alcools forts, est issu d'une lignée de marins, depuis le temps du navire La Licorne. Et dans le milieu de la mer, il n'est pas rare de croiser quelques spécimens de requins. Tel ce diable de Rastapopoulos.
Ce thème offrant l'occasion de se pencher sur des facettes variées ayant trait à la mer, le magazine Historia revisite les albums de Tintin en rapport avec le monde marin. De l'Île Noire à celle de l’Étoile mystérieuse, des yachts de luxe aux paquebots, des sous-marins aux radeaux proches de celui de La Méduse, les explorations du grand large se succèdent dans les aventures de Tintin.
Parmi la quinzaine de chapitres spécifiques, chacun trouvera celui qui lui paraît le plus marquant. Munis de leurs sabres d'abordage, les corsaires ont toujours leurs admirateurs. Les équipages de Surcouf ou de Jean Bart ne sont pas des pirates, mais des agents mandatés par Colbert et le roi de France. Les chasses sous-marines au trésors, avec leurs improbables scaphandres d'antan, s'adressent aussi à notre imaginaire.
Un chapitre est dédié aux chants de marin, souvent chansons accompagnant le travail des équipages, mais aussi refrains fredonnés quand sont permises des pauses. À juste titre, un autre aborde l'alcoolisme chez les marins. Rhum, goutte, whisky, et breuvages variés coulent à flot dans cet univers, afin de compenser la dureté bien réelle du métier. Des auteurs de chansons tel Théodore Botrel (La Paimpolaise) ont même écrit des complaintes anti-alcooliques. Il faut lire ici les pages sur les “Abris du Marin”, homes qui éloignaient les hommes à terre des tentations (et pas seulement de la boisson).
La mer, ce sont aussi les superstitions. Non sans logique, lorsqu'il s'agit des lapins, qui risquaient de dégrader les navires en bois. Monstres marins, spectres et sirènes ont alimenté les légendes. Sans doute la technique a-t-elle modifié l'état d'esprit, la sécurité. En particulier grâce à la TSF, basé sur le télégraphe, avant que n'apparaissent des liaisons radio directes. Des progrès dont Tintin va évidemment faire usage.
Des encarts plus courts évoquent des objets-phares, tels la barre d'un navire, le transat d'un paquebot, la malle au trésor, etc. Au chapitre dédié aux naufrages, nous trouvons le portrait d'un marin entré dans l'Histoire, le commandant Smith, celui du Titanic. On peut lui préférer celui de Jack Phillips, l'officier qui lança le SOS alors que commençait à couler ce paquebot. D'autres points de la tradition maritime sont également mis ainsi en valeur.
Îles, cargos, yachts, paquebots, sous-marins, autant de chapitres reliés à des extraits des aventures de Tintin. À titre personnel, ce sont les pages consacrées aux hydravions qui m'ont attiré. S'ils ont connu un beau développement dans la première moitié du vingtième siècle, ils sont rapidement abandonnés après-guerre. Les célèbres Canadairs restent les seuls avions de ce type. Les lecteurs de Tintin découvrant ces appareils à partir des années 1960 ou 1970 ne pouvaient qu'être intrigués par ces engins. Si pratiques, à en juger par les rapides manœuvres présentées dans les albums.
Ce hors-série d'Historia s'avère riche et passionnant. On le trouve en kiosque depuis le 2 octobre, et en librairie à partir du 15 octobre 2014.