Ancien grand reporter, Clovis Narigou s'est retiré dans ses paisibles collines de La Varune, non loin de Marseille. Pourtant, certains crimes le replongent dans la sombre réalité. Son amante Emma Govgaline, policière marseillaise à l'allure assez androgyne, lui soumet une nouvelle affaire pour laquelle elle a besoin d'un sérieux coup de main. Un cadavre calciné a été découvert sur la plage, dans la calanque des Pierres Tombées. Le coupable, aux airs de Fantomas, a adressé une vidéo à la police, montrant les tortures infligées à la victime. Clovis y remarque un drapeau pouvant rappeler celui de la Serbie. Le lieu où l'on a trouvé le corps n'est pas loin du Fort Caffagne, devenu propriété privée après que l'Armée l'ait vendu. Clovis connaît ceux qui y vivent, l'artiste-peintre JAD et l'employé russe Micha.
À l'Argus des peintres, Jean-Antoine Dieudonné (dit JAD) possède maintenant une certaine cote. Une de ses toiles vient d'être vendue fort cher à New York. Dans un lot comprenant surtout quatre tableaux de Derain, il est vrai. Propriétaire d'une galerie d'art parisienne, la comtesse hongroise Zoltána Báthory serait une descendante d'Erzsébet Báthory, célèbre figure historique du crime. Son habileté pour présenter dans les salles d'enchères réputées des tableaux rares, certifiés par leurs propriétaires, en fait une reine de ce négoce. Le cas de JAD est différent, toutefois. Le Fort Caffagne où il vit et peint appartient à M.Sacha, un homme d'affaires russe qui trempe dans bon nombre de malversations. On suppose que c'est M.Sacha qui achète discrètement les tableaux de JAD pour faire monter sa cote.
Absent du Fort Caffagne, Micha séjournerait en ce moment à Moscou. Un galeriste cannois aristocratique révèle à Clovis que ce Micha n'est pas Russe, mais Serbe. C'est un artiste et non un simple employé. On pense qu'au temps de la guerre en ex-Yougoslavie, ce copiste de tableaux très doué aurait produit de la fausse monnaie, pour la cause Serbe. Comme le pensait Clovis, il n'y a bientôt plus de doute sur l'identité du cadavre immolé. JAD étant le fils du défunt Nando Fratigacci, truand ayant eu son heure de gloire et premier acheteur du Fort Caffagne, Clovis s'interroge aussi à ce sujet. Tandis que ses amours avec Emma sont au beau fixe, il se renseigne sur les faussaires actuels, héritiers de Fernand Legros. C'est probablement du côté de l'ex-milice serbe au service de Milošević, les Scorpions, que Clovis trouverait la meilleure piste…
Maurice Gouiran est un des rares auteurs capables réussir l'amalgame entre le roman d'aventure riche en péripéties et l'enquête historique précise, sans négliger la vie privée de son héros. Le dosage harmonieux n'a pourtant rien de si facile, surtout quand sont évoqués des épisodes cruels d'un passé encore proche. L'explosion de la Yougoslavie du maréchal Tito a entraîné pendant une dizaine d'années un imbroglio guerrier destructeur. Le nationalisme exacerbé, avec son prétexte religieux, a brouillé les cartes. Bosniaques, Slovènes, Kosovars, Croates et Serbes, se sont entre-tués sous le regard autoritaire et cynique de généraux autoproclamés.
Les Balkans ont longtemps été laminés par les guerres. Comment penser que, même si le TPI de La Haye a jugé aussi correctement que possible les responsables, les rancœurs soient éteintes ? Les pays de l'est de l'Europe ont eux, dès la chute du Mur de Berlin, développé la corruption et tous les trafics possibles. Mafia russe, une formule commode pour masquer des méthodes criminelles. Dans cette histoire, qui ne se borne pas au décor marseillais, se mêlent le bizness de ces Slaves et les suites du conflit en Yougoslavie. Sale guêpier pour Clovis, car il n'est jamais aisé d'éclaircir des cas aussi complexes. Voilà un suspense de très belle qualité. (Roman de 2012, aujourd'hui en version poche).