Le tuard n'est pas hostile au tourisme. Que les grands sites français reçoivent quantité de visiteurs, que les endroits dédiés à la découverte fasse le plein, c'est assez normal. Mais le tuard estime que les guides touristiques vont désormais trop loin. Aux dépens de lieux qui n'ont pas à accueillir les foules. Vouloir tout exploiter ainsi, c'est glorifier un passé qui ne fut pas toujours brillant, ou détruire l'harmonie naturelle de ces endroits.
Le tuard est conscient que les friches industrielles témoignent de l'Histoire. “L'intérêt de la foule des blaireaux se porte sur les sites industriels du passé en milieu rural. Les usines désaffectées, dénaturées ou en ruine, car déclarées non rentables ou pourvues de techniques obsolètes, ont la cote, deviennent des objectifs prisés, à la mode… Une clientèle touristique apparaissait, capable de se ruer sur des vestiges roussis ou envahis par les herbes pour gober quelque chose de la splendeur de la grande bourgeoisie de l'époque… C'était se remettre sur les pas de la France grande puissance. Même les débris, les scories, toute l'entreprise de la décomposition, tous les emblèmes de la dégradation rencontrés en chemin, étaient recherchés à présent : au-delà d'un certain esthétisme de la pourriture, cela ressuscitait la valeur du travail et de l'obéissance.”
Accompagné de son complice Monty, qui adore jouer avec les explosifs (ce qu'il appelle “faire Kourou”), le tuard a déjà éliminé quelques journalistes qu'il considère comme des traîtres, des mouchards. Pour le moment, même s'ils ont pris quelques risques, ils n'ont toujours pas été inquiétés. Cette fois, c'est vers la Haute-Saône et la Lorraine – régions qui furent riches en industries – que leur mission les conduit.
Dans sa Twingo, le journaliste Victor Beaudemange explore quelques anciens sites industriels encore peu mis en valeur. De la verrerie de la Rochère jusqu'au musée de Clairey, les ex-locaux gardent l'empreinte du labeur des ouvriers du verre. Pas facile de supprimer ce plumitif de Beaudemange, comptant révéler au plus grand nombre les charmes de ces usines d'autrefois. À Breuches, une vieille dame vante les usines de filatures dont sa famille fut jadis propriétaire. Le duo doit trouver le moyen d'agir contre ce reporter avant qu'il ne dévoile tout cela…
Cette nouvelle d'une quarantaine de pages n'est pas un réquisitoire contre le tourisme. Elle peut permettre de s'interroger sur cette question : jusqu'où est-il logique d'exploiter certains endroits à des fins touristiques ? Tel lieu que, naguère, nous fréquentions pour sa tranquillité et son pittoresque, est aujourd'hui envahi par un public peu respectueux. Ou, en visitant telle usine, les touristes réalisent-ils que des centaines d'ouvrières et d'ouvriers trimèrent ici ? Et, pour alimenter ces visites, faut-il polluer au gas-oil des cars des endroits naturels préservés ? C'est là-dessus que Jacques Mondoloni nous invite à réfléchir.
Même les musées ne seraient pas la panacée : “Il avait pensé que les musées pouvaient servir à contenir, circonscrire la pulsion touristique de ses semblables. Le musée devenait une cage où le touriste s'enfermait lui-même et ne pouvait plus nuire au-dehors. Mais il s'était trompé… l'instruction, la culture qui s'en dégageaient poussaient parfois certains visiteurs à approfondir leur curiosité, leur connaissance...” Oui, le musée participe au cycle touristique, donnant envie de nouvelles découvertes. Étant personnellement amateur de friches industrielles, j'assume (avec le sourire) de faire partie de “blaireaux” appréciant ce genre de lieux.
Lire également la chronique de l'Oncle Paul sur ce livre.