Bien qu'ayant écrit une dizaine de romans, Fletcher Flora n'aura pas marqué les lecteurs français. Seuls deux de ses titres furent traduits : “Un train d'enfer” (“Let me kill you, sweetheart”, coll. Un mystère 1959) et “Une cousine dangereuse” (“Killing Cousins”, coll. Interpolice, début des années 1960). Né à Parsons (Kansas) en 1914, Fletcher Flora est décédé en 1968. Enrôlé dans l'armée en 1943, il a reçu de nombreux éclats d'obus dans les deux jambes et son bras droit, qui laissèrent toute sa vie des séquelles. Il travailla pour l'Armée à Fort Leavenworth, au Kansas, de 1945 jusqu'en 1963. Dès 1952, il écrivit des nouvelles publiées dans des revues comme Dime Detective ou Manhunt, et dans des anthologies. Son premier roman datant de 1954, “Strange sisters”, connaît là-bas un beau succès. Peut-être parce qu'il y est question de lesbianisme. Écrit en 1958, “Un train d'enfer” est paru l'année suivante en France, puis réédité en 1979 dans la collection Classiques du Roman Policier.
Avis Pisano est serveuse à l'hôtel du bord du lac de Sylvan Green, petite station estivale où on ne trouve par ailleurs qu'une douzaine de cabanes disséminées dans les bois le long de la rive. Cet été-là, Avis eut trois jeunes amants, qu'elle surnomma tous Frisé. Rex Tye, Guy Butler et Ellis Kuder sont trois citadins de Rutherford, une ville moyenne sans attrait. Tous trois envisagent d'épouser Lauren Haig, vingt-six ans, la jeune femme la plus riche de la région, fille de millionnaire. Au mois de novembre, Avis Pisano prend le train pour rejoindre la gare de Rutherford. Quelqu'un dans l'ombre l'attend dans le square attenant, pas sur le quai. Elle est enceinte et veut de l'argent, mille dollars, pour élever son bébé. Montée dans la voiture de son amant, Avis va être étranglée.
Purvy Stubbs est un jeune homme assez lourdaud, quelque peu naïf, qui n'est guère en confiance avec les femmes. Il a toujours aimé les trains, une véritable passion. Il voulait être ingénieur dans les chemins de fer, mais son père banquier l'obligea à travailler dans sa banque, comme caissier. Ce qui n'empêche pas Purvy d'aller voir passer les trains le plus souvent possible. Ce samedi soir-là, il est même en avance pour le train de dix-neuf heures cinq. Il remarque qu'une inconnue, la seule à descendre du train, rejoint une silhouette au coin du square. Plus tard dans la soirée, Purvy prend un dernier verre au bar avec Guy, Rex et Ellis. L'épisode de la gare n'a pas l'air de les intéresser. Pourtant, l'arrivée d'Avis risquait fort de nuire au mariage de l'un d'eux avec la riche Lauren.
Le surlendemain lundi, Purvy reste intrigué par la scène de la gare. Au principal hôtel du coin, on n'a pas vu l'inconnue. Par une cliente de la banque, Purvy apprend que le cadavre de la jeune femme a été retrouvé. Il va reconnaître le corps à la morgue, puis raconte ce qu'il a vu à la gare au shérif Lonnie Womber. Ce dernier se dit peu expérimenté question crimes, tout juste note-t-il que la valise de la victime a disparu. En réalité, il ne tarde pas à identifier la victime. Et remarque que trois clients de Rutherford ont séjourné à Sylvan Green. Guy, ex-violoniste virtuose, handicapé à la main suite à une blessure de guerre, ressassant son amertume. Rex, fils trop proche de sa mère, qui déteste sa propre attitude soumise alors qu'il se croit supérieur. Ellis, ex-combattant qui s'ennuie et ne vise que le mariage avec Lauren. Purvy va servir d'appât pour coincer le tueur...
Il ne s'agit pas d'une œuvrette, mais d'un suspense très habile, d'un “roman malin” qui n'a rien d'une enquête linéaire. La construction de l'histoire inclut, sans le nommer, des scènes avec l'assassin et présente en souplesse le profil des suspects. L'ambiance peu excitante de cette petite ville typique des États-Unis est suggérée avec soin. Les personnages annexes sont aussi nuancés. Tel le sceptique barman du “Division Hotel” ou Phyllis Bagby, patronne du bordel local. La rapide enquête du shérif est exemplaire.
L'écriture n'est pas fade, au contraire. Voici comment est décrit le malaise régnant entre les trois possibles coupables dans le bar où ils ont leurs habitudes : “Il eut un silence, ce qui était habituel. Mais le silence en soi ne l'était pas. Ce silence avait quelque chose de différent, et même [le barman] Bernie Huggins le sentit. C'était difficile à comprendre, mais c'était un peu un silence comme quand on est petit, couché dans le noir, et qu'on sent qu'il y a un monstre ou un dragon, là tout près, qui va vous sauter dessus. C'était le genre de silence qui précède un grand cri.” (traduction Louis Saurin). On appréciera enfin le dénouement elliptique, qui esquisse le nom de l'assassin. Une vraie “perle du polar” à redécouvrir.