À Londres, en mai 1856, après une carrière déjà bien remplie, William Monk est le chef de la police fluviale, basée au commissariat de Wapping. Il est marié à Hester, ex-infirmière militaire durant la guerre de Crimée. L'ancien bordel de Squeaky Robinson, c'est elle qui l'a transformé en clinique accueillant des prostituées malades ou blessées. Squeaky gère le difficile équilibre des comptes de l'établissement. William et Hester ont adopté quelques années plus tôt Scuff, un gamin des rues, aujourd'hui âgé de quinze ans. Il leur porte un véritable attachement. Séchant parfois l'école, Scuff s'intéresse aux enquêtes de Monk.
Le Princess Mary est un navire touristique, une sorte de bateau-mouche qui navigue sur la Tamise. Sous les yeux de William Monk et de son adjoint Orme, le navire explose, causant une vaste panique. Certains passagers sont sauvés, mais on comptera cent-quatre-vingt cadavres. Dès le lendemain, Monk fait une plongée en scaphandre, vérifiant que le bateau a été saboté par un explosif posé à sa proue. “Il y avait de nombreuses victimes. Sans parler de leur famille, ces gens méritaient que justice soit rendue, que la lumière soit faite sur les événements de la veille au soir. Il n'avait pas le droit d'oublier.”
Mais Monk est aussitôt déchargé de l'enquête par son supérieur Lydiate. Pourtant, la police métropolitaine n'est pas aussi accoutumée aux lieux. Que savent-ils des “gens invisibles”, qui vivent autour du fleuve : “Les livreurs, les cochers, les bonnes […] Les hommes qui chargent et déchargent, qui nettoient, qui rangent, qui nous conduisent à terre ou nous emmènent sur l'eau” ? Ami de Monk, le policier Runcorn admet que cette affaire comporte un aspect international. Initiative française, la construction en cours du Canal de Suez nuit aux intérêts anglais. Or, il y avait de riches investisseurs sur le Princess Mary.
On a arrêté un Égyptien, Habib Beshara. Hester assiste à son procès. Des témoins disent avoir vu rôder cet accusé étranger autour du bateau. Quand tombe le verdict, Beshara est condamné à la pendaison. Comme il est malade, sa peine sera commuée en détention à vie. Peu après, Beshara est agressé en prison. Runcorn ne cache pas ses sérieux doutes à Monk. Il faut une contre-enquête. Le chef de la police Lydiate admet la même incertitude, vu le contexte politique. Le ministre Lord Ossett rend finalement l'enquête à la police fluviale. Déjà, à la clinique d'Hester, on interroge des prostituées présentes sur le bateau.
Après avoir rencontré des rescapés, Monk s'entretient avec les magistrats du procès, qui sont convaincus de la culpabilité de Beshara. Le directeur de la prison n'est pas coopératif, lui non plus. “Et si un navire entier avait été coulé dans le but de tuer un seul individu ?” se demande Monk. De retour de voyage, l'avocat Oliver Rathbone a son rôle à jouer afin d'éclaircir une affaire égyptienne qui pourrait impliquer la haute société britannique...
Anne Perry écrit plusieurs séries historiques. Outre une dizaine de “Petits crimes de Noël”, celle consacrée à Charlotte et Thomas Pitt compte près de trente titres, situés dans la décennie 1880. Il y a aussi deux romans unitaires (À l'ombre de la guillotine, Du sang sur la soie) et la saga des Reavley, cinq aventures ayant pour contexte la Première Guerre Mondiale. Actuellement, on peut redécouvrir les trois premiers titres réédités en un seul volume. Ici, c'est la vingtième enquête de William Monk que nous propose Anne Perry.
Couvrant une grande partie du 19e siècle, l'époque victorienne symbolise la puissance de l'Empire britannique : maîtrise des mers, révolution industrielle, finance florissante, armée puissante. Mais rares sont les classes sociales qui tirent profit de ces avantages. La plus grande partie de la population est très pauvre, à l'image de ceux qui vivotent autour de la Tamise. C'est ce petit monde-là que fréquentent Monk, homme d'honneur au caractère anxieux, et le jeune Scuff. Leur ami avocat Rathbone est plus proche de l'aristocratie. Il n'ignore pas combien est corrompue la classe dirigeante, lui-même ayant subi quelques désagréments à cause de cela. Anne Perry prend le temps de nous immerger dans le climat d'alors car, vu le contexte, mener une enquête sérieuse ne peut se faire dans la précipitation. L'ambiance importe autant que le mystère, et c'est fort agréable.