Veuf de Suzanne, le policier Mehrlicht élève seul son fils ado. Âgé de cinquante-deux ans, il dirige un service criminel au commissariat parisien du 12e. “Son visage anormalement vert lui donnait un air de batracien, que renforçaient ses deux gros yeux gonflés et noirs. Quelques fils s'échappaient de son crâne en guise de chevelure, et achevaient d'en faire une grenouille à cheveux.” Son équipe se compose de Sophie Latour, bretonne rousse qui préserve son obscure vie privée et de Mickael Dossantos. Sportif connaissant par cœur le Code Pénal, ce dernier fraya naguère avec l'extrême-droite. Ex-amis qui pourraient nuire à son métier, il le sait, d'où sa rectitude actuelle. Mehrlicht se voit attribuer un nouveau stagiaire “beau et con à la fois”, Guillaume Lagnac. Il est ordinaire que Mehrlich tourmente les nouveaux venus. Là, il devrait même se méfier de ce fils d'un haut-fonctionnaire, qui entend lui tracer une belle carrière dans son sillage.
Mehrlicht est un habitué de l'hôpital Saint-Antoine, où son ami Jacques est traité dans le service cancérologie. En ce 1er novembre, un autre patient vient d'y être empoisonné. Un vieux monsieur aurait “vu la Faucheuse, toute vêtue blanc, comme un ange. C'était l'Ange de la Mort, dans sa robe blanche.” La meurtrière serait donc une brune en noir, infiltrée parmi les visiteurs, puis déguisée en infirmière. On découvre que le poison est un cocktail d'aconit et d'amanite vireuse, produits peu courants. En voulant protéger le vieux témoin, Dossantos frôle la mort face à la tueuse qui rôde à l'hôpital. Mehrlicht connaissant bien ses classiques en matière d'empoisonneuses, il trouve celle-ci atypique. Ça se confirme quand une famille est assassinée par la même personne, près des Champs-Élysées. La baby-sitter employée depuis deux ans est sûrement la coupable. Elle s'appellerait Morgane Grandier. Sauf qu'il n'existe personne de ce nom.
Si le commissaire Matiblout et le service de Mehrlicht gardent cette double enquête, c'est grâce à l'intervention de papa Lagnac. Bonne aubaine pour la carrière de son fils. On voit paraître sur Internet des articles bien informés sur ces affaires, titrant “La France a peur”. S'agissant de cas d'empoisonnements, ça risque de créer la panique dans le public. Le portrait de la suspecte est diffusé dans les médias. Ce qui ne l'empêche pas de défier la police, se montrant devant une caméra de l'Arc-de-Triomphe. On recense d'autres crimes à lui attribuer, celui du couple Beaufert et de la famille Charpeau, dix victimes au total. Pendant ce temps, un ministre spécule sur des ouvrages de bibliophiles fort rares. Son vendeur à face de rat n'aime pas ces transactions. Il va falloir qu'à contre-cœur Mehrlicht, ses adjoints et son stagiaire, s'expatrient dans un bled perdu du Limousin pour retrouver éventuellement la trace de la Némésis, pour faire cesser sa vendetta karmique...
Après “L'heure des fous” (2013), voici le deuxième roman de Nicolas Lebel. Son premier titre était une sympathique comédie policière, plutôt réussie. Ici, l'auteur s'avère encore plus convaincant. Peut-être d'abord, parce qu'il ne cherche pas à imiter ces suspenses aux chapitres courts, censés être plus rythmés. Il obtient un tempo tout aussi vif en alternant les scènes, offrant une construction homogène au récit. Ce procédé traditionnel a fait ses preuves, et tout indique que Nicolas Lebel souhaite s'inscrire dans la forme classique des meilleurs polars. C'est ainsi que nous suivons donc l'enquête, mais aussi une part plus privée de la vie de Mehrlicht, Latour, Dossantos, Matiblout et Lagnac-fils.
Si le mystère criminel plane, la tonalité est globalement souriante, parfois mordante dans l'humour. Le plus bel exemple est sans doute ce reportage-télé sur la pluie, un moment d'anthologie qui témoigne de l'inanité de certaines infos. Mehrlicht reste caractériel, pour le plus grand plaisir des lecteurs. Il sait se montrer humain, avec son ami cancéreux ou en face de l'aubergiste Mado. Notons encore qu'il s'asseoit sur la loi Evin, assumant de prendre cette liberté. Chevronné, Mehrlicht ne cache pas son aversion envers les jeunes cadors diplômés mais inexpérimentés et sourds à ses conseils. Voilà une solide intrigue à la narration fluide et enjouée, capable de nous captiver passionnément.
On chronique aussi ce roman chez l'Oncle Paul, chez Pierre, chez Emotions (Gruznamur), chez Jacques Teissier, chez Du bruit dans les oreilles, chez Foumette, chez Passion Thrillers.
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