L'hebdomadaire VSD et le magazine Alibi proposent en cet été 2014 un hors-série, intitulé “Les cahiers du polar”. Il est présenté comme premier numéro d'une nouvelle publication. On peut souhaiter qu'il y en ait d'autres à venir, en effet. Le thème exploité ici, ce sont les faits-divers, ce qui explique le sous-titre “Crime à la Une”. D'ailleurs, on débute par un peu d'archéologie criminelle, d'historique de la propagation médiatique des faits-divers. Réalité des enquêtes journalistiques ou fiction, Dominique Kalifa résume les rapprochements : “Le roman de police, lui, est à la recherche d'un personnage spécifique, investigateur par profession ou par inclination, mais extérieur au drame et exclusivement chargé de mener une enquête. Damant le pion au policier et au détective, le reporter s'y impose peu à peu comme l'incarnation de l'investigateur.”
Un portrait du chroniqueur judiciaire Paul Lefèbvre, un autre de Jacques Pradel, un sujet sur les émissions de télé consacrées au faits-divers (tels Faites entrer l'accusé, Enquêtes criminelles, Présumé innocent…), un autre sur l'évolution du spectacle télévisé du crime depuis bientôt soixante ans : oui, la médiatisation du sordide ou de l'énigmatique est un bon moyen de faire de l'audience. Le journaliste macédonien Vlado Taneski l'avait fort bien compris, donnant une multitude de détails sur une série de meurtres. Il était le mieux placé, en effet, puisque c'était lui, l'assassin. Mais il y a aussi des victimes. Telle Sophie Toscan du Plantier, assassinée en décembre 1996 en Irlande, une affaire qui n'a toujours pas abouti. Telle Karine Duchochois, une des “innocentées” de l'affaire d'Outreau, devenue journaliste spécialisée dans le domaine judiciaire. Elle n'a pas manqué de courage.
Dans l'ombre des ténors du barreau, les avocates pénalistes commencent à se forger la place qu'elles méritent dans les dossiers judiciaires importants. D'autres magistrats ont choisi de développer des blogs, manière de montrer en dehors des prétoires la complexité des humains et des cas traités par la justice. Pour évoquer l'actualité criminelle, le reporter peut s'adresser au service d'information du ministère de l'Intérieur, même si ce n'est pas sa seule source, en général. Par contre, la multiplication de prétendus experts squattant les plateaux des émissions de télévision à chaque affaire spectaculaire laisse sceptique. Si quelques-uns sont fiables, beaucoup ne sont invités que pour exposer de fumeuses théories afin de se mettre eux-mêmes en valeur. Ils participent au “storytelling”, à faire peur aux gens comme jadis Roger Gicquel, en exploitant de vrais crimes.
Un article sur les films et un autre sur les séries-télé s'inspirant souvent, dans les deux cas, de faits réels (le romancier George Pelecanos y contribue, d'ailleurs). Un sujet sur les vrais policiers qui se mettent à écrire des fictions, depuis Hugues Pagan jusqu'à Jean-Marc Souvira. Voilà qui nous relie (enfin) au polar, à la fiction. Une galerie-photo nous présente en images des auteurs : Franck Thilliez, Sam Millar, R.J.Ellory, David Peace, Alexandra Schwartzbrod, Denis Lehane, Donato Carrisi, Maj Sjöwall, Cathy Unsworth, Kent Anderson, Qiu Xiaolong, Edmon Baudouin. Un sujet est dédié à la romancière Hannelore Cayre, publiée aux éditions Métailié. Notons aussi une page concernant Hafed Benotman et Anne Perry, qui ont pour point commun d'avoir eu des ennuis avec la Justice. Plusieurs autres “pages spéciales” s'intéressent à des sujets ciblés, citant quelques ouvrages (avec un extrait de “L'homme qui a vu l'homme” de Marin Ledun).
Un bel article souligne que des auteurs littéraires ont voulu s'approcher du réel, au risque d'un procès avec les intéressés. Parfois, avec un grand talent, comme Truman Capote. On lira avec plaisir la conception de Pierre Lemaitre sur le réalisme : “Il ne faut pas confondre le réel et l'exactitude. Chacun a sa réalité, sa vérité. L'exactitude, c'est deux et deux font quatre, c'est indiscutable. Mais quatre euros pour moi, quatre pour vous ou quatre pour un SDF, ce n'est pas la même chose… Du coup, j'ai envie de vous répondre que l'exactitude, je m'en fiche. Dans mon roman “Cadres noirs”, j'ai interverti le réquisitoire du procureur avec la plaidoirie de l'avocate. Même si je sais que ça ne se passe pas comme ça dans la réalité, je fais ce que je veux. Pour créer l'effet que je souhaitais, pour la dramaturgie de mon texte.” On nous propose au final une nouvelle inédite de Bernard Werber, “Meurtre dans la brume”.
Espérons donc que ce hors-série “Les cahiers du polar”, disponible tout l'été, ne sera pas un numéro unique. Il s'adresse autant aux amateurs de faits-divers qu'aux passionnés de polars.