Ses tribulations conduisent Maqroll el Gaviero (le Gabier) partout à travers le monde, dès que se présente l'opportunité d'une aventure sur mer ou sur terre. Ponctuellement, Mutis croise son ami Maqroll sur l'un ou l'autre continent. Dans son errance perpétuelle, Maqroll est de passage en Californie quand il est victime d'une crise aiguë de malaria. Il s'est réfugié dans un motel tenu par un couple d'amis, avant de contacter Mutis. Celui-ci le fait hospitaliser, heureusement à temps. Soigné, le Gabier va passer sa convalescence dans la famille de Mutis, en Californie. Maqroll n'est jamais à court de récits sur ses expériences vécues çà et là. Cette fois, il raconte comment il fut victime de la fièvre de l'or.
Quand il arrive quelque part dans le nord de l'Amérique latine, Maqroll entend parler de mines d'or abandonnées dans la région. Si d'autres ont renoncé avant lui, c'est pour cause de maladie ou d'instabilité politique. Mais ce n'est pas parce qu'une mine a la réputation d'être maudite qu'elle serait inexploitable. Le Gabier se renseigne auprès de la serveuse Dora Estela, qu'il va surnommer la Conseillère, native de ce secteur de la Cordillère. Les desperados des CAF (Compagnies d'Actions Fédérales) sont moins offensifs en ce moment. Si l'on est un peu patient, la mine de la Bourdonnante donnera de l'or. Ce que confirme le frère de Dora, Eulogio, qui accepte de s'associer à Maqroll pour tenter l'affaire.
Ils ne découvrent d'abord ni or, ni trace des exécutions ayant eu lieu dans cette mine. Jusqu'au jour où ils trouvent une salle ressemblant à des catacombes, avec les squelettes des victimes. Il est préférable de retourner au village de San Miguel, en attendant mieux. Maqroll se renseigne encore : “Je l'ai interrompu pour lui demander si chaque mine, dans cette région, avait obligatoirement une histoire sinistre. À ma grande surprise, il m'a répondu avec le plus grand naturel : Oui patron, chaque mine a ses défunts, c'est comme ça. Un Indien qui vivait ici et qui était un peu sorcier disait qu'il n'y a pas d'or sans défunt, ni de femme sans secret.” Les paysages sont beaux, la terre est fertile, mais les épisodes sanglants sont également nombreux.
Maqroll et Eulogio finissent pas trouver une mine, dont le filon d'or paraît prometteur. Le Gabier baptise l'endroit Amirbar. Ils vont obtenir le permis d'exploitation, et leurs premiers travaux sont pénibles mais très fructueux. C'est là que ça va se gâter pour Eulogio. Il sera remplacé par la belle Antonia, qui ne ménage pas sa peine pour aider Maqroll à extraire le minerai. Les pratiques sexuelles particulières d'Antonia les contentent tous les deux. Mais Maqroll n'est pas homme à se fixer longtemps quelque part. D'autant que le filon d'or ne donnera bientôt pas davantage. La fin de cette aventure ressemblera à une fuite chaotique jusqu'à trouver un navire qui l'emportera loin de là…
Écrivain multi-récompensé en Amérique latine et en Europe, Álvaro Mutis (1923-2013) n'était évidemment pas un auteur de polar. Néanmoins, les vagabondages de son héros fétiche, Maqroll el Gaviero, peuvent figurer parmi les lectures des amateurs d'aventures. Publié en France en 1992, aujourd'hui réédité dans la collection Signatures chez Points, “Écoute-moi, Amirbar” constitue un parfait exemple des pérégrinations internationales du curieux personnage qu'est Maqroll le Gabier. Fascinant, même, il faut l'avouer.
À l'origine, il s'agit d'un marin au passeport chypriote, ce qui n'indique pas pour autant d'où il vient. Toutes ses entreprises ne visent pas vraiment à faire fortune, mais à vivre quelque chose d'exceptionnel à chaque fois. On se tromperait en l'imaginant simplement dans la peau d'un baroudeur, car ce diable de Maqroll est aussi un lettré. Au cours de son périple minier, il lit un ouvrage sur les guerres de Vendée, l'histoire des chouans, “toute cette folle épopée qui s'est terminée dans le néant...” Il a aussi son opinion sur quelques grands écrivains français et sur Simenon.
Sans doute est-il inutile de souligner la qualité littéraire du présent roman. Magnifique souplesse narrative : on est à la fois en Californie, où Maqroll raconte cet épisode singulier de sa vie, et dans ce pays de la Cordillère des Andes où se déroulent les faits. Ambiance locale garantie authentique. Dora Estela, Antonia, Doña Claudia, autant de portraits de femmes esquissés avec subtilité. Même si on ne connaît pas l'œuvre d'Álvaro Mutis, voilà un roman passionnant (préfacé par François Maspero).