À Chicago, le docteur Jennifer White est âgée de soixante-quatre ans. Elle fut chirurgienne orthopédique. Son mari James, brillant avocat, est décédé un an plus tôt dans un accident de voiture. Leur fille Fiona a vingt-quatre ans. Âgé de vingt-neuf ans, leur fils Mark est un avocat toujours fauché, n'ayant pas hérité du talent paternel. Magdalena, aide-soignante, vit avec Jennifer. Car, si elle a été un des meilleures de sa spécialité médicale, le docteur White est aujourd'hui atteinte de démence sénile. Alzheimer, en langage courant. Malgré la surveillance, il lui arrive de sortir de chez elle dans de mauvaises conditions. Ou d'avoir des crises d'agressivité dues à la maladie. Elle est suivie par Carl Tsien, médecin qui fut un de ses collègues, et participe à des séances collectives autour de la mémoire. Géré par sa fille, le compte en banque de Jennifer montre qu'elle est très riche. Connaissant son frère Mark, Fiona veille à ce qu'il ne puisse accéder à cette fortune, qu'il dilapiderait.
Amanda O'Toole est une voisine et amie de longue date de Jennifer et James White. Elle est retraitée de l'enseignement depuis une douzaine d'années. Son mari Peter l'a quittée voilà quelques années, pour refaire sa vie en Californie. Jennifer White est restée proche de la septuagénaire Amanda, marraine de Fiona. Les disputes entre amies n'étaient pas rares, au point que Jennifer considérait parfois Amanda comme déloyale envers elle. Ça avait commencé plusieurs années plus tôt, en particulier lors d'une sortie champêtre des deux couples avec les enfants. Petite altercation pleine de sous-entendus, qui aurait pu nuire à l'harmonie entre Jennifer et James. Amanda vient d'être assassinée chez elle. On l'a amputée de quatre doigts d'une main. Une relation assez tumultueuse, une opération dont Jennifer fut coutumière, il n'en faut pas plus pour qu'elle soit suspectée. L'inspectrice Luton ne semble pas admettre que la maladie empêche Jennifer de se souvenir.
Sur le carnet de Jennifer, soit on lui écrit des faits récents, soit elle note des éléments de sa vie. Il y a des messages de sa fille, des rapports de Magdalena. Mais rien concernant le jour supposé de la mort d'Amanda. L'état de Jennifer se dégrade, son témoignage devient plus relatif que jamais. Qu'elle possède encore son bistouri et ses lames servant à opérer n'est pas une preuve décisive. État agité de Jennifer, oublis fréquents, hygiène réduite, prise incertaine des médicaments : Fiona songe à vendre la maison et à placer sa mère en gériatrie. Jennifer se croit encore parfois lucide sur son cas. Mais elle pense que son mari est toujours vivant, n'identifie pas facilement ses enfants ou Magdalena. Quand elle est orientée vers un établissement médicalisé, la policière Luton vient encore l'interroger, sans avertir ses enfants. Quelle est encore la vérité pour l'esprit affaibli de Jennifer ?…
Qui a tué l'amie et voisine Amanda, pourquoi et comment ? Ce n'est pas cet aspect de l'intrigue criminelle qui retient l'attention ici. Ce qui fascine, c'est que toute l'histoire est racontée par Jennifer White, atteinte de sénilité, avec la progression de la maladie que ça suppose. Ayant été une femme de caractère et une chirurgienne hors-pair, son esprit reste encore assez vif pour ne pas se réfugier dans le renoncement. Jusqu'à un certain point.
Il y a des moments d'ironie dans son récit, d'autres plus pathétiques – sans être mélos. Elle reçoit la policière dans sa chambre de clinique psy comme si elle était encore médecin en rendez-vous, et rien n'apparaît délirant dans cette scène. Son regard sur ses enfants n'est pas affectueux, car c'est un sentiment plus nuancé qui l'a toujours habitée. Une certaine froideur, peut-être due à son métier, qui s'exprima également au décès de sa propre mère : “Comme si des termites rongeaient mes émotions. Grignotant d'abord les bords, puis s'enfonçant plus profondément jusqu'à tout détruire. Me privant de la chance de lui faire mes adieux.” Ce qui contribue à aggraver son état actuel, sans doute.
Une situation médicale, où le rôle des deux enfants n'est pas neutre. Gérer au mieux (le moins mal possible) la protection d'un parent n'est pas facile. Ce n'est compréhensible que par ceux qui le vivent, alors que les regards des autres ou de la personne malade peuvent croire à une rapacité financière, par exemple. On sait combien les “aidants” sont mal aidés psychologiquement. Ça figure en filigrane dans ce roman. Si la part de suspense n'est pas oubliée, la mort d'Amanda devant s'expliquer, c'est la vision de l'affaire par la narratrice diminuée mentalement qui offre toute sa force à ce livre. Une fiction, certes, mais de vrais cas comparables existent.
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