Maurice Morrigane est inspecteur de police au 36 Quai des Orfèvres, dans le service du commissaire Blondeau. Il habite seul rue du Pré-Saint-Gervais, dans le 19e, avec son chat Marlowe. Il reste marqué par le souvenir de son grand amour, Elena, une Russe au visage de madone. Fatale passion, digne des romans de Dostoïevski ou de Tolstoï. Désabusé, il mène ses enquêtes sans précipitation, au gré de son inspiration. Il ne manque jamais son rendez-vous du soir à La Comète, le bistrot de Fernande. Il y retrouve ses amis, le notaire plutôt droitiste, et Alain, jeune médecin juif qui croit encore en son métier. Les problèmes de santé de Fernande les unissent, car ils ne tiennent pas à perdre celle qui leur mitonne de bons petits plats. Le livre de référence de Maurice, c'est “Les souffrances du jeune Werther”, l'œuvre de Goethe, histoire d'amour dépourvue de médiocrité.
L'acteur Fred Morange a été assassiné, décapité chez lui à Neuilly. “La tête de l'acteur était coupée et posée sur une table basse, tandis qu'un grand tableau accroché au mur était bariolé de sang, comme si quelqu'un avait eu l'intention de repeindre ce salon dans une couleur plus gaie.” L'inspecteur Morrigane n'est pas tellement cinéphile. L'agent de l'acteur rappelle à Maurice que Fred Morange fut le fiancé de Simone Vitelli, comédienne décédée encore jeune deux ans plus tôt. Quant à ceux qui n'appréciaient guère le défunt, Maurice n'a qu'à traîner du côté des studios d'Épinay. Là-bas, dans la loge de la victime, il trouve une photo de Simone Vitelli, que l'acteur semblait ne pas avoir oubliée. La nostalgie du Paris d'avant déprimant quelque peu Maurice, il ne se bouscule pas pour enquêter.
C'est grâce à une piécette de monnaie italienne que le policier avance d'un grand pas. Il s'aperçoit que Simone Vitelli était le sosie de Simonetta Vespucci. À Florence, au glorieux temps des Médicis, la jeune fille fut le modèle préféré de Sandro Botticelli. Pour sa beauté remarquable, les Florentins la surnommèrent “la Senza Paragoni”, la sans pareille. Elle fut l'épouse de Marco Vespucci, mais aussi l'amante de Julien de Médicis. Ce qui entraîna certains drames, dont la grande famille de Florence était coutumière. Un rapprochement autour de la date du 26 avril pousse Maurice à s'interroger. Simone et Simonetta, deux jolies femmes qui avivent en lui l'image perdue d'Elena. Il balade sa nostalgie dans les parcs parisiens, avant d'être invité au Festival de Cannes...
Guy Marchand fait partie de ces artistes populaires du cinéma et de la télévision, connu aussi comme chanteur à la voix de crooner. Il a parfois joué des flics à l'écran, en particulier dans “Garde à vue” (de Claude Miller, 1981), qui lui a valu le César du meilleur acteur dans un second rôle. Pendant une douzaine d'années, Guy Marchand incarna dans une série-télé de trente-neuf épisodes le rôle de Nestor Burma, le détective créé par Léo Malet. Sans nul doute, un personnage qui a contribué à sa notoriété, encore que ça ne résume pas sa longue carrière depuis 1970. S'il affiche volontiers un dilettantisme mêlé d'un brin de cynisme, il n'en reste pas moins un comédien qu'on apprécie. Auteur, il a obtenu un certain succès avec “Le soleil des enfants perdus” (Gingko, 2011), récompensé par le Prix Jean Nohain.
Ce n'est pas un roman policier balisé que nous propose ici Guy Marchand. Son enquêteur baigne dans une mélancolie quasi-permanente : “Le printemps murmurait de l'optimisme qui ne l'atteignait pas.” Ce flic préfère circuler à pied dans Paris, occasion d'observer sa ville, d'en respirer l'ambiance et de se remémorer des images. Les comédiens sont aussi évoqués dans cette histoire, méritant un hommage : “Merveilleux menteurs que ces acteurs. Mensonges sincères. Ils commençaient à lui plaire, les acteurs. Parce qu'après tout c'était des désennuyeurs au milieu d'un monde d'emmerdeurs... Pas facile de jouer la comédie, pensa Maurice, normal qu'on les décore, même si ça peut défriser les militaires qui défendent la nation, les acteurs eux la défendent contre l'ennui.” Côté vie privée, il y a encore ses rares amis, et Fernande qui leur donne du souci. Ce sont tous ces éléments qui, outre le suspense, offrent à ce roman une très agréable tonalité. Voilà un polar à l'écriture fluide qui se lit avec un réel plaisir.