Samedi 7 juin, 15 H. Rendez-vous avec Chris Womersley au bar de l'hôtel Oceania, qui jouxte le Palais du Grand Large, siège d'Étonnants Voyageurs. J'ai quitté à la hâte le stand de mes amis Québécois, j'y retournerai. Miracle, je suis à l'heure.
Après “Les affigés”, l'auteur australien Chris Womersley vient de publier “La mauvaise pente” chez Albin Michel, dans la collection dirigée par Francis Geffard. Merci à ce dernier d'avoir planifié cette rencontre. Il est vrai que je n'ai pas caché mon enthousiasme autour de ce roman supérieur. Chris Womersley s'avance vers moi, souriant, main tendue. Nous serons bientôt rejoints par une charmante jeune traductrice. Ça vaut mieux, même si je comprends à peu près l'Anglais et si je le baragouine vaguement. Interview ou rencontre entre un auteur et un lecteur, ce sera autant les deux approches.
Le thème de “Les affigés”, son précédent titre que je n'ai pas encore lu, c'étaient les séquelles de 14-18. Une question sur ce livre : Chris Womersley me confirme que oui, les Australiens se souviennent et commémorent toujours leurs 70.000 soldats engagés dans le premier conflit mondial. Peut-être une des raisons du succès de ce roman.
L'essentiel de l'entretien concerne “La mauvaise pente”, premier roman écrit par l'auteur, mais le second paru en français.
Chris Womersley assume de ne pas avoir situé géographiquement l'histoire. “Nowhere and everywhere” (nulle part et n'importe où), c'est ce qu'il a souhaité. Aucune arrière-pensée de placer plus aisément ce roman chez des éditeurs, ni de viser un plus vaste public du fait de son universalité, comme je l'ai suggéré par taquinerie. Un vrai choix, donc.
Il est question d'une somme de 60.000 dans ce roman, pas une fortune puisqu'il s'agit de trafics. Dans la V.O., il semble que ce chiffre soit plus clairement affiché en dollars, ce qui apparaît moins dans la traduction française (excellente, néanmoins).
Une scène qu'il a voulu forte dans ce roman ? Au motel, alors qu'un couple est plein de vie, le jeune Lee agonise (blessé par balle au ventre) dans la chambre de l'autre côté du mur. Symbolique d'une situation quasi-désespérée, dans l'indifférence, tandis que le monde continue à tourner.
Le jeune Lee, le Dr Wild en fuite, le vieux truand Joseph : Chris Womersley n'a pas voulu les présenter comme des héros positifs. Non, il y a nettement plus de mauvais que de bon en eux. Le seul qu'on puisse un peu défendre, c'est le médecin, pour sa naïveté. Il a commis une faute par négligence, avec ses antécédents de drogué, mais ce n'est pas un criminel. Les deux autres sont de véritables malfaiteurs. Bien sûr, le lecteur peut leur accorder une certaine sympathie. Mais l'auteur estime trahir l'idée s'ils s'en sortent trop bien. Lecteur et auteur savent qu'il s'agit d'une fiction. Toutefois, pour convaincre, l'auteur doit rester dans une logique réaliste, être juste.
Surtout, Chris Womersley ne raconte pas simplement une histoire. Il tient à ce que son écriture soit la plus belle possible. Même si la brutalité domine le récit, évidemment. Sur ma suggestion, il admet que règne ici un climat fatalement sale, “dirty”.
Les héros de “La mauvaise pente” peuvent rappeler ceux de David Goodis, face à leur sombre destin. En fait, Chris Womersley se sent plus proche du cinéma de Jean-Pierre Melville, avec des personnages ténébreux, parlant peu mais ayant un passif chargé. Tel “Le Samouraï” (1967, avec Alain Delon).
Pour Chris Womersley, dans le roman noir, ce sont avant tout des héros corrompus (“corrupted”, à traduire plus sûrement par : viciés, pervertis, gangrénés). Ils vivent une chute morale, donc probablement sans retour. Une version jusqu'au-boutiste du roman noir, vers le “darkness”, l'obscurité.
J'espère ne pas avoir trahi ni la pensée, ni les réponses de ce remarquable écrivain australien. Très belle rencontre, avec un auteur qu'il faut lire absolument. Merci encore à Chris Womersley, à notre traductrice, et à Francis Geffard.