Paris, au milieu des années 1990. Âgé de trente-cinq ans, Frédéric Léger a raté sa vie de couple avec Agnès. Une déprimante histoire de bébé. Elle et lui restent proches, mais avec une fêlure irréparable. Frédéric est correcteur pour une maison d'édition, la CTI. Sous la direction du quinquagénaire Vergegen, on y publie des livres illisibles sur les bienfaits du libéralisme décomplexé. Un jargon prétentieux au service d'idées fumeuses, dont le patron de la CTI se gargarise volontiers. Ce n'est pas l'agaçante secrétaire Mirabelle qui offrira un brin de culture supplémentaire à ces éditions. Frédéric compte parmi sa poignée d'amis Arnaud Straus, journaliste d'investigation. Celui-ci est un obsédé de la recrudescence des idées nazillonnes, qu'il traque au quotidien. Cinquante ans après la guerre, un microcosme passéiste les revendique de nouveau. Arnaud soupçonne les éditions CTI d'en faire partie.
Quelque peu immature, Frédéric n'a pas toujours les pieds sur terre. Quand l'éditeur lui confie les épreuves à corriger d'un manuscrit qu'il qualifie d'explosif, Frédéric n'y voit que du boulot fastidieux. Peu après, il remarque un drôle de duo dans son restaurant habituel. Il improvise une filature, qui va s'avérer malvenue. Frédéric est sévèrement cogné par les deux types. Après quelques soins, rentrant chez lui, il retrouve son appartement saccagé, et le dangereux duo. Ils ont l'air bien informés sur lui, Agnès et ses amis. Mieux vaut ne pas prendre à la légère leurs menaces, même un garçon aussi rêvasseur que Frédéric peut comprendre ça. Par hasard, restant discret, il va recroiser le chef du duo à la piscine, en compagnie d'une séduisante jeune femme que Frédéric a déjà précédemment aperçue.
Il apprend bientôt leur identité, car ils sont en contact avec les éditions CTI. Benoît Lagnaeg est informaticien. La jeune beauté se nomme Leïla Bassag. Frédéric n'ose avouer à M.Vergegen qu'il a égaré le manuscrit. Son patron lui donne les épreuves d'une nouvelle version du livre, nettement moins explosive, plus allusive. Frédéric se met au vert afin de faire les corrections de l'ouvrage, ainsi que d'un pavé d'Annette Balandrais qu'aurait dû corriger une copine. Bien qu'indigeste, un futur best-seller, ce roman-là (“Qui plus est, Annette Balandrais gérait son image de marque comme un coûteux parfum. Ce qui ne l'empêchait pas d'écrire comme une vache asthmatique”). Une fois la tâche terminée, le micmac n'étant pas résolu, Frédéric n'en a pas fini avec Lagnaeg et ses complices. Car il y a véritablement du complot dans l'air, autour des éditions CTI...
Notons d'abord qu'il s'agit du numéro 100 de la collection de poche Babel Noir. Symbole ou hasard, c'est un auteur français qui a été choisi. Romancier et traducteur d'écrivains prestigieux, actif dans le monde de l'édition, Claro publie depuis bon nombre d'années. Le titre initial de ce roman était “Éloge de la vache folle” (1996). Parodiant Goethe, “Les souffrances du jeune ver de terre” indique tout autant que l'histoire est habitée d'une bonne part d'humour.
Au centre du récit, ballotté par les péripéties ondoyantes, se trouve le brave Frédéric. Qui exerce le métier de correcteur, ce qui fut le cas de l'auteur. Ce personnage (on n'ose dire le héros) se considère tel une simple mite, insecte insignifiant dont on se débarrasse aisément. Au restaurant, “les entrées, comme partout ailleurs, sont variées. C'est à dire qu'on a le choix entre l'eufmaillot et l'harenpomaluile. Je conseille le second, même si une séance épilatoire ne lui ferait pas de mal. Quant aux plats du jour, on ferait mieux de les baptiser plus franchement plats de la veille, ou plats d'autrefois, ou encore plats de jadis, voire plats d'antan.” Tant d'autres extraits mériteraient d'être cités.
La tonalité enjouée serait déjà fort sympathique. On peut même parler d'un style inspiré, d'une écriture virevoltante. Des scènes plus profondes ou des passages oniriques arrivent en contrepoint, le sourire reprenant bientôt ses droits. Toutefois, ce n'est pas uniquement une comédie polar, car une certaine noirceur va finalement apparaître dans ce roman. Si l'on situe à peu près l'adversaire, reste à évaluer le rôle de chacun dans cette intrigue. Un roman qui allie belle écriture et suspense agité de bon aloi, ça offre un très bon moment de plaisir.