Mourmelon-le-Grand est une commune champenoise du département de la Marne, non loin de Reims. Depuis Napoléon III, elle abrite un vaste camp militaires français. En 1958, elle doit compter plus de quatre mille habitants. Une garnison américaine est encore présente, en plus des nos soldats. On dénombre alors plus de soixante-dix bistrots, qui accueillent volontiers ces troupes en goguette. Comme celui de Lydie, “Les flots bleus”, qui élève seule sa fille Mireille. Le café de René Moncornet reçoit plutôt les ouvriers, dont ceux des abattoirs. Ça reste un des pivots de l'économie locale, cet endroit où passe le bétail. Maquignon et boucher, le quadragénaire Michel Garandeau y traite beaucoup de ses affaires. Celui-ci est l'époux de Françoise, plus jeune que lui.
Cette femme moderne est naturellement la cible des commères du coin, à l'esprit étriqué et aux propos fielleux. En ce moment, c'est une affaire de pédophilie troublant la population, qui excite les cancanières. Un commerçant de la ville figure en bonne place parmi les suspects. Les mêmes mauvaises langues ironisent sur Colette, jeune femme de milieu modeste, d'une beauté sauvage éclatante. Elle est mariée à Marco. Pompier entre autres fonctions, Marco est le factotum communal. Brave garçon, un peu ivrogne depuis que ça va moins bien avec la fougueuse Colette. Il n'est pas exclu qu'elle le trompe. Dans la famille Rogain, on trouve celui qu'on surnomme Le Goupil. Il fait office de garde-champêtre, faute d'être compétent en quoi que ce soit.
Charles-Émile Chartier est le personnage le plus respecté de Mourmelon. Adjoint au maire, et secrétaire de mairie, marié à l'effacée Mounette, il a perdu un bras durant la guerre. Ce qui n'empêche pas ce manchot d'organiser chaque année de main de maître le bal des pompiers. C'est tout un cérémonial, qui commence par la traversée à pied de la ville, afin que Charles-Émile puisse saluer son monde. Dans la salle prêtée par les militaires, il y a l'espace payant réservé aux élites qui vont aussi dîner, et la piste de danse destinée au reste de la population. Bien que musicien amateur, Michel Garandeau accompagne ce soir-là l'orchestre, et n'est pas le dernier à mettre de l'animation. La sensuelle Colette fait un passage très remarqué, danseuse plus endiablée que les autres.
Jacky, qui se surnomme Zaz car il cultive des allures de zazou, est très excité par la fête. Le bal est une fois encore une belle réussite, dont se félicite Charles-Émile. C'est alors qu'une alerte au feu mobilise quelques-uns des pompiers. Du sérieux, car un fort incendie se propage du côté des abattoirs. On va sortir un cadavre de femme des décombres. Anormal qu'elle se soit trouvée là. Il s'agit assurément d'un meurtre. Le brigadier Lapouge va mener une rapide enquête de gendarmerie, un coupable idéal faisant l'affaire...
Depuis de nombreuses années, Jérôme Bellay est un personnage influent dans les médias. Sans doute a-t-il peu de temps à consacrer à l'écriture romanesque. On peut le regretter, car ce livre montre qu'il ne manque pas de talent. Pourquoi situe-t-il cette intrigue à Mourmelon-le-Grand ? Natif de Châlons-en-Champagne, l'auteur a vécu plusieurs années ici. Sachant qu'un ado de quatorze ans est le témoin des faits, plus que le réel narrateur, on peut supposer qu'il s'est servi de souvenirs de jeunesse. Avant tout, il s'agit de la chronique locale d'une époque, avec une très belle galerie de portraits. La traversée pédestre de la ville permet de rencontrer toutes les couches sociales de la population.
Soyons bien conscients que 1958 n'a pas grand chose de comparable avec notre temps. La guerre mondiale a laissé des séquelles, même si elle a donné du prestige à quelques-uns. Si la politique divise, on garde une certaine bonne humeur. L'économie française se porte de mieux en mieux, favorisant les notables d'après-guerre en une période où le petit commerce est roi. Les gens modestes habitent des maisons sans grand confort, mais on envisage de futurs HLM plus coquets. L'armée américaine joue un rôle modernisateur aux yeux de beaucoup : “La Jeep est à la mode. En slalomant entre les bouses, les péquenots du coin ont l'impression d'avoir passé une vitesse dans la modernité. Ils se prennent pour des fermiers du Wyoming, même s'ils utilisent cet engin militaire pour tirer des charrettes à foin... Les autres guettent les surplus.”
L'aspect criminel n'est nullement oublié. Dans ces années-là, un bal des pompiers est une fête incontournable. Mais, comme dans tout groupe, c'est alors que peuvent exploser les rivalités. Jérôme Bellay se sert parfaitement de tout le contexte présenté au fil de la soirée pour nous plonger dans le drame. Une histoire policière impeccablement réussie. Voilà qui mérite un Coup de cœur.
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