Belz est une petite île bretonne peuplée de pêcheurs, au large de Lorient. Marko Voronine y débarque, ayant été embauché comme marin-pêcheur par Joël Caradec. Ce que cherche surtout Marko, c'est qu'on l'oublie quelques temps. Clandestin venu d'Ukraine, il a fait le voyage dans un camion avec ses compatriotes Anatoli, Vasili et Iryna. Suite à un grave incident, ils ont supprimé les mafieux roumains qui les transportaient, récupérant l'argent qu'ils avaient versé. Les quatre Ukrainiens ont promis de se recontacter via Internet avant de tenter leur chance séparément. C'est ainsi que Marko a abouti sur Belz. Le microcosme insulaire n'est pas le meilleur endroit pour passer inaperçu. Un étranger inexpérimenté qui est engagé à la pêche au lieu d'un îlien chevronné, ça attire l'antipathie.
Pierrick Jugand, autre patron pêcheur local, apparaît le plus mécontent. Il semble prêt à dénoncer Marko. Dépressif, cet homme marié est tracassé par son métier toujours plus ingrat. Avec son équipage, c'est lui qui ramène d'une sortie en mer un pied humain coupé au tibia. Sinistre trouvaille, qui va amener sur l'île le commissaire Fontana, nouvellement en poste à Lorient, et son adjoint du cru, Pierre Nicol. Se montrant peu, Marko croise toutefois des gens moins hostiles. Tel l'abbé Lefort, qui connaît bien les pénibles conditions de vie des îliens. Il n'ignore pas que planent légendes et mystères sur cette “Île aux Fous”, comme certains l'appellent. Autre personne sympathique, Venel, le causant libraire de Belz raconte à Marko une de ces étranges histoires, celle de ce pêcheur de sardine qui du jour au lendemain oublia sa langue maternelle pour s'exprimer dans un langage inconnu.
Outre le vieux marginal Papou, figure insulaire qui se montre plutôt cordial avec Marko, l'Ukrainien fait encore la connaissance de la belle institutrice Marianne. S'ils deviennent intimes, c'est que Marko ressemble beaucoup à un défunt ami îlien de la jeune femme. Par Internet, l'Ukrainien recommande la prudence à sa famille restée au pays, et reçoit un message de Vasili et Iryna. Émissaire de la mafia roumaine, Dragos Munteanu est chargé de retrouver les fuyards. Grâce à des contacts, il ne tarde pas à localiser Vasili et Iryna près de Paris. Son périple l'enverra plus tard vers le sud de la France. Si Marko a envisagé de quitter l'île, il doit y renoncer. Une enquête est lancée après la mort suspecte de Pierrick Jugand, avec de nombreux flics sur place...
Pour un premier roman, Emmanuel Grand réussit un pari risqué. Car situer une intrigue sur une île est plus piégeux qu'il y paraît, une forme de théâtralité étant à craindre. Et les clichés ont la peau dure : “Environnement hostile” décréta un juge des divorces au sujet de l'île de Sein. Un certain isolement, une population en vase clos, une méfiance insulaire, ne suffiraient pas à restituer l'ambiance de façon crédible.
Le réalisme naît d'abord à travers les personnages. Telle l'île balayée par les tempêtes, même s'ils sont tourmentés, ils se doivent de rester forts autant qu'ils le peuvent. Et d'agir à bon escient, ce qu'ils feront. C'est là que le clandestin Marko doit trouver sa place, dans un contexte qu'il ne maîtrise guère. Fort bien dessinés, les portraits contribuent largement à l'atmosphère des lieux, donc à la bonne impression que nous donne cette histoire.
S'il esquisse un peu de fantastique, avec l'Ankou symbolisant la mort dans l'univers celtique, l'auteur évite à juste titre de “charger” les effets. Ce mythe ayant déjà beaucoup servi, il va ici “illustrer” l'aspect mortifère du récit. Il faut nuancer la formule “L'Ankou tue. Il n'épargne personne” car ce n'est pas un criminel, mais celui qui vient chercher les morts à leur heure.
Bien que ça n'enlève absolument rien aux réelles qualités de ce roman, qu'on me permette d'être tatillon sur ce secteur géographique. Si un auteur plaçait la Tour Eiffel sur les Champs-Élysées, il se ferait incendier. Cette île de fiction correspond à Groix, en face de Lorient. Par contre, Belz est le nom d'une commune proche, au bord de la ria d'Étel. Autre détail sans gravité, l'abbé Lefort se serait présenté sous le qualificatif de “recteur”, habitude qui a encore cours.
Quant à la mafia balkanique ou moldo-valaque lançant le menaçant Dragos à la poursuite des Ukrainiens, ça appartient au romanesque folklore des “méchants”. L'auteur fait un choix narratif : le suspense mise moins sur le dénouement, que sur les péripéties énigmatiques vécues par les protagonistes. Néanmoins, c'est par une marée d'équinoxe de mars que l'affaire aboutira. Un polar intense et convaincant, d'une lecture très agréable.