L'éditeur François Guérif symbolise le roman noir américain ou international, aux yeux des lecteurs qui le connaissent comme créateur de la collection Rivages/Noir, après avoir lancé de précédentes collections similaires. Ce serait négliger certaines des bases de sa culture polar. Dans “Du polar”, livre d'entretiens avec Philippe Blanchet, publié en 2013 dans la collection Manuels Payot, il s'exprime aussi sur les romanciers français. Bien sûr, Léo Malet, Jean-Patrick Manchette, et Pierre Siniac tiennent une place dans son propos et dans son cœur. Il y eût aussi une autre rencontre, capitale pour lui : Michel Lebrun.
« C'est quelqu'un d'important pour moi. Je l'ai connu en 1972/73, en travaillant sur ce projet de livre sur le cinéma policier français, avec Stéphane Lévy-Klein. À l'époque, je le voyais comme un auteur mineur des Presses de la Cité. Et ce fut une rencontre formidable. Après l'interview, je me suis précipité chez les bouquinistes, sur les quais, pour acheter ses livres. Et lui avait été touché par ces deux jeunes gens qui s'intéressaient à son travail. Il a tout de suite proposé de nous aider. Michel avait un côté encyclopédiste. Il connaissait énormément de choses, et c'était quelqu'un de délicieux. On est devenus très amis […] Il a dû écrire une centaine de romans policiers, sous pseudonymes et sous son nom... Bon certains de ses livres étaient très mauvais, notamment les plus vieux. Mais il y a plein de bouquins sympas...» (Désolé de vous contredire, M.Guérif, mais il n'y a quasiment aucun mauvais titre parmi les romans de Michel Lebrun publiés dans les années 1950/60.)
En disant grand bien de deux romanciers incontournables, François Guérif surprendra certainement ses admirateurs. Du moins ceux qui, ayant des œillères, ne défendent que le roman noir pur et dur, et détestent autant Georges Simenon que Frédéric Dard.
« Simenon écrit des choses qui peuvent être assimilées au roman noir. D'une certaine façon, Maigret est un détective on ne peut plus classique. Mais en même temps, c'est du pur roman noir, dans le sens où ça n'est pas tellement l'identité du coupable qui compte, mais la manière dont Maigret écoute, regarde, s'imprègne de la personnalité même de l'assassin... Très souvent, il ne juge pas, d'ailleurs. En plus, à côté des Maigret, Simenon écrit toute une série de romans très noirs […] Non, pas “à la manière de”... Au contraire, il est pour moi l'exemple même de quelqu'un pour qui le roman policier, c'est un roman social par excellence. Et quand il est aux États-Unis, il n'écrit plus du tout sur ce qu'il a vu en France, mais sur ce qu'il voit sur place. C'est ce reflet qui l'intéresse. »
Quant à Frédéric Dard, Guérif n'est pas moins élogieux à son sujet :
« Je dois dire que c'est un auteur que j'ai découvert sur le tard. Je dois dire qu'à l'époque, je n'aimais pas beaucoup San Antonio ? Je trouvais ça très inégal [...] Mais il y avait l'autre Frédéric Dard que j'aimais bien. Celui des romans noirs et romantiques. Ils n'étaient pas toujours très bien construits, mais il y avait une vraie atmosphère de poisse qui planait comme ça, au-dessus des gens. [Première rencontre] Je me souviens très bien que j'étais un petit peu intimidé. Frédéric Dard, c'est un monument tout de même. Et je dois dire que ça a fonctionné tout de suite. S'il y a quelqu'un qui n'était pas difficile d'accès, ni prétentieux, ni imbu de lui-même, c'était bien lui ! [Il a] une place un peu à part. D'abord, un auteur incontestablement bien ancré dans la littérature populaire, qui commence sa carrière avec des romans noirs.
« […] Il y a un côté André Héléna, un côté poisse qui est très intéressant chez Frédéric Dard. Quelle que soit l'histoire, on sent dès le début cette espèce de prédestination qui, de toute açon, ne peut que mal se terminer […] Dard est un romancier noir, tout comme Léo Malet. Ils se connaissaient et ils s'aimaient bien. Je sais que Léo Malet disait du bien de Frédéric Dard. Et puis franchement, c'est vrai que les quelques fois où j'ai rencontré Frédéric Dard, c'était un homme délicieux […] Que ce soit Pierre Siniac, que ce soit Léo Malet, Frédéric Dard ou Albert Simonin, c'étaient des gens que tu aimais fréquenter. »
Si, par ailleurs dans ce livre, François Guérif évoque quantité d'auteurs américains, ces passages sur les écrivains français mérite autant d'être retenus.