En cette fin d'année 2013, deux rééditions bienvenues chez Rivages/Noir...
Christian Roux : "Placards"
Une prostituée est étripée dans son appartement. Il y a du sang et des viscères partout quand sa voisine Alice découvre le carnage. Elle remarque un placard. Visiblement, un enfant y a séjourné longtemps. Elle trouve un cahier où il racontait maladroitement sa vie de bâtard caché et maltraité. Alice quitte son immeuble sans prévenir la police. Dans un parc proche, où elle côtoie un homme brun et des enfants qui jouent, elle lit le cahier. Alice et sa jeune sœur Valérie connurent aussi une enfance douloureuse. Pour Alice, le gamin du placard n'est pas loin.
Eustache est policier. Il fait équipe avec Samuel. Eustache a besoin d’écrire, de revenir sur une étape de sa vie. Pendant ses vacances d’enfant, un adulte devint son meilleur ami : souvenirs de fêtes, mais aussi d’une expérience marquante. Eustache et Samuel enquêtent sur le meurtre de la prostituée. Ils ont compris qu’un gosse était caché dans le placard. Les témoignages inutiles du voisinage égoïste ne les aident guère, pas plus que les fichiers sur ce type de crimes. Même le calme Samuel s’interroge. Comme Eustache, il porte un lourd secret lié à l’enfance. Le gamin qui ne voyait jamais le soleil voulait “nager dans le ciel”, écrivait-il. Alice devine où il se cache...
Cette histoire malsaine et sordide a pour but de provoquer le malaise. C’est la rencontre de plusieurs destins, de personnages traumatisés par des enfances perverties, par un passé impossible à effacer. L’auteur veut nous prendre aux tripes, nous heurter, nous bousculer. Il y parvient, car l’écriture et la construction du récit sont originales et percutantes. C’est un sujet dur, qui est traité avec dureté. Ce qui donne un excellent roman, teinté d’une poésie morbide.
David Goodis : "Cassidy’s girl"
En ce début des années 1950, Cassidy végète dans un quartier miteux de Philadelphie. Pourtant, il a connu des époques plus glorieuses dans sa vie. Sportif universitaire, puis héros de la 2e Guerre, il fut pilote de ligne. Jusqu’à ce qu’un accident d’avion dont il n’était pas responsable provoque sa déchéance. Après divers jobs, il est désormais chauffeur d’autocar. Il traîne surtout une réputation justifiée d’ivrogne. C’est chez Lundy, un bar accueillant une clientèle de purs alcooliques, que Cassidy passe son temps à s’enivrer avec ses amis.
Quatre ans plus tôt, c’est dans ce même bistrot qu’il se laissa séduire par la sensuelle Mildred, devenue depuis sa femme. Cassidy est toujours accro à son excitante compagne, qui aime autant que lui les boissons fortes. Malgré l’obsession qu’elle lui inspire, les scènes de ménages se succèdent. D’autant que Mildred aguiche Haney Kenrick, qui a plus de fric que Cassidy. Tout ça finit par une sévère bagarre entre les deux hommes chez Lundy, sans vainqueur.
Cassidy devient l’amant de la jeune Doris, dont l’alcoolisme maladif lui donne envie de la protéger. Elle aussi a traversé de dures épreuves, qui l’ont fait sombrer. Cassidy décide que Doris et lui vont vivre ensemble, qu’il l’aidera à arrêter de se détruire. Ce qui rend plus que sceptique Shealy, un des amis de Cassidy. Sa violente rupture avec Mildred n’empêche pas Cassidy d’envisager l’avenir avec une certaine sérénité. Il a tort, car ses ennuis ne font que commencer...
Goodis décrit des protagonistes de la fatalité et de la médiocrité, non sans savoir-faire : “Leurs corps, intoxiqués, affaiblis par l’alcool, n’étaient plus que des masses de substances animales, privées de pensées et d’émotions, qui avançaient, avançaient toujours dans cet espoir de survivre à cet horrible voyage qu’était la traversée de la rue.” Entre alcoolisme, serein espoir dans l’avenir, et fausse accusation, Cassidy subit les aléas d’un destin chaotique. A-t-on envie de s’apitoyer sur son sort ? Pas sûr, d’où l’ambiguïté des romans de Goodis – leur force, diront ses admirateurs. La part de dérision reste rare dans le récit : “Tu n’es pas le seul, dit Shealy. On aime tous ça, nous les paumés, les épaves. On en arrive tous à prendre du plaisir quand on descend la pente, pour arriver en bas, au fond, là où c’est doux, dans la boue.” Bel exemple du roman noir traditionnel.