Une certaine mythologie du truand cultive l'idée que les grands criminels ou les tueurs en série seraient des êtres supérieurement intelligents. Insaisissables, les malfrats et autres escrocs, tellement plus malins que la moyenne qu'ils berneraient toujours les enquêteurs à leurs trousses ? La réalité est beaucoup plus prosaïque. D'abord, la plupart de ces multi-récidivistes passent une grande partie de leur vie en prison. Ensuite, lorsqu'ils sont un temps en liberté, ils s'ennuient ferme entre deux braquages, les opérations spectaculaires n'étant pas si courantes. Vivre dans l'opulence financière, se pavaner avec les plus belles femmes, faire la fête chaque nuit ? Voilà qui fleure bon la légende ou, du moins, est-ce une vie rêvée très provisoire. Enfin, il est fréquent que ces cadors du grand banditisme sèment carrément les indices derrière eux, quand ils ne sont pas dénoncés par leurs amis.
Évoquer le chef de bande Cartouche, le contrebandier Mandrin, le gang des tractions avant de Pierrot le Fou, les anarchistes de la bande à Bonnot, le cas si particulier du “séducteur” Landru, le redoutable braqueur Émile Buisson, la fuite en avant de Jacques Mesrine, c'est aussi rappeler que tous ces assassins finirent par être arrêtés et condamnés, ou abattus sans hésiter. Certes, le gang des Lyonnais organisa durant la décennie 1970 de superbes casses, orchestrés en détail. Néanmoins, la quasi-totalité de la bande fut bientôt arrêtée. Si, au tout début du dix-neuvième siècle, Pierre Coignard se cacha sur le nom du comte Pierre-André de Pontis de Saint-Hélène, il n'en fut pas moins rattrapé par Vidocq en 1818. Plus récent, la Justice retiendra dix-huit meurtres à l'actif de Thierry Paulin, le tueur de vieilles dames. On ne peut pas dire qu'il se cachait, le flamboyant fils de "Monette" Paulin.
Les Chauffeurs de la Drôme, qui martyrisèrent leurs victimes de 1903 à 1908, s'étaient inspirés de leurs prédécesseur de “la bande d'Orgères” (vers 1795). Si ces malfaiteurs cruels visaient un riche meunier des environs, ils ignoraient que Clémenceau venait de créer une police spéciale bien entraînée, qu'on surnomma vite les “Brigades du Tigre”. Autour de 1840, Jean Pomarédès sévit durant cinq années, semant la terreur dans tout le Midi, avant d'être condamné à mort par le tribunal d'assises de Montpellier. Parmi les “historiques”, il faudrait encore citer le fameux docteur Marcel Petiot, assassin de Juifs, condamné en avril 1946. Dans les années 1990 à Toulouse, l'octogénaire Ange Luccarotti pourrait sembler plus pittoresque. Après un parcours chargé de délinquant, avec ses jeunes complices Laure et Michel, Ange se lança dans de nouveaux casses.
Deux personnages très singuliers dans la mythologie du grand banditisme. Christian David fut surnommé, entre autres, “le beau Serge”. Né en 1929, il fit ses débuts comme simple braqueur, avant de se mettre au service des caïds du moment, puis de s'acoquiner avec les hommes de mains du SAC gaulliste. Bien que recherché comme repris de justice, cela le protégea durant un temps. Jusqu'à ce qu'il abatte un policier, et poursuive sa carrière dans le trafic de drogue en Amérique Latine. Peut-être fut-il impliqué dans l'affaire Ben Barka, ainsi qu'il le prétendit ?... Albert Spaggiari, personne n'a oublié le nom du cerveau de ce “Casse de Nice” qui excita la France entière en 1976. Passer par le Paillon et les égouts de la ville pour cambrioler l'équivalent de vingt-cinq millions d'Euros actuel, sacré boulot ! S'il aime la gloire, la personnalité de Spaggiari est toutefois plus ambiguë. Un baroudeur facho, dont on n'est plus si certain qu'il fut vraiment le cerveau du casse.
Né à Saint-Pétersbourg, Alexandre Ludinghausen fut un des plus brillants escrocs d'avant la Seconde guerre mondiale. Avec sa mère, ce rejeton de la noblesse tsariste multiplia les carambouilles, déroba quelques œuvres d'art majeures, trafiqua un vrai-faux Vermeer, et berna des bijoutiers auxquels il prétendait acheter une pierre précieuse. Longtemps recherché avec sa complice à travers toute l'Europe, ce n'est qu'en 1949 qu'il fut pris après le vol astucieux d'un tableau de Goya à Agen... Au total, ce sont vingt-deux portraits de criminels et de bandes de bandits, que nous présente dans ce livre Patrick Caujolle. Il utilise une tonalité généralement légère et enjouée pour nous décrire les circonstances de leurs méfaits. Ce qui est une manière de souligner que, bien qu'appartenant à l'histoire de la criminalité, ces personnages ne sont guère dignes d'admiration. Voici un nouvel ouvrage fort intéressant sur les grands noms français du crime.