Varsovie, juin 2005. Magistrat âgé d'environ trente-cinq ans, Teodore Szacki a déjà les cheveux blancs. Il est marié depuis dix ans à Weronika, conseillère juridique employée à l'hôtel de ville, et passionnée de football. Ils ont une fille de sept ans, Hela. Teodore Szacki n'est, en tant que procureur, qu'un des modestes rouages de la justice polonaise. Avec son ami policier Oleg, ils se complètent fort bien. Les dossiers à traiter ne manquent pas, dont beaucoup sont en attente de CSS, classement sans suite. Il parvient parfois à en relancer un, tel le viol et le meurtre d'une ado disparue, dont le cadavre fut enterrée dans une cour d'école. Avec un commissaire obstiné, ils retrouveront la vérité, même si la mort de cette jeune fille peut avoir été volontaire. Dans un autre cas, face à une meurtrière ayant tué son mari non sans raison, le procureur Szacki ne retiendra qu'un crime accidentel.
Le docteur Cesary Rudzki a organisé durant le week-end un exercice thérapeutique pour quatre de ses patients, louant des locaux à l'église de la Vierge Marie de Czestochowa. Le dimanche matin, le cadavre d'Henryk Telak est découvert, tué d'un coup de broche à rôtir dans l'œil. Une affaire à sensation, sur laquelle la belle journaliste Monika voudrait obtenir des détails. Bien que mari fidèle, Szacki s'avoue intérieurement désirer une relation intime avec la jeune femme. Selon le premier rapport d'Oleg, le psy Rudzki ferait un bon suspect. Szacki interroge d'abord les patients, la prof Hanna, la comptable Barbara, et Ebi Kaim. Il rencontre le lendemain chez lui le docteur Rudzki. Celui-ci explique la méthode utilisée pour cette thérapie, des jeux de rôles très intenses. Henryk Telak était le cas principal, ce week-end, admet le psy. Car l'ambiance familiale de la victime est assez mortifère.
Jadwiga Telak, l'épouse de la victime, confirme les douloureuses réalités de leur famille. Le fils de quatorze ans, malade en sursis, est également interrogé. Le dictaphone d'Henryk Telak n'a pas disparu, c'est le curé de l'église qui le rend au procureur. Telak y enregistra entre autres un message d'adieu. Vu qu'il avait ensuite préparé ses bagages, le suicide ne correspond pas, d'autant moins avec une telle arme. Consulté, le docteur Wrobel pense que la thérapie de son confrère place les patients dans un état comparable à l'hypnose. Ce qui ne signifie pas que ça en fasse des tueurs. Le procureur Szacki va s'apercevoir que les chiffres fétiches de Telak ressemblent fort à une date précise. Que se passa-t-il le dix-sept septembre 1987 vers 22 heures ? Dans l'ombre, Igor et un notable anonyme suivent les investigations de Szacki, veillant à ce qu'il ne réveille pas un passé compromettant, prêts à le menacer si besoin était...
On ne peut pas dire que les auteurs polonais envahissent les collections françaises de polars. C'est donc avec un réel intérêt qu'on découvre ce premier roman de Zygmunt Miloszewski traduit chez nous. Dire qu'il s'agit d'une enquête sur une affaire de meurtre serait trop vite résumer ce livre. Certes, après avoir exploré diverses pistes, le procureur Szacki va réunir les protagonistes sur le lieu du crime, dans la grande tradition. C'est là que l'assassin passe aux aveux, naturellement, sauf nouvelle surprise.
Toutefois, bien que l'énigme soit le moteur de cette intrigue, on trouve ici bien d'autres aspects passionnants. D'abord, à travers la personnalité du procureur. Il sait que sa fonction est sans prestige, exigeant pourtant un discernement humaniste. Outre qu'il a d'autres dossiers en cours, on le voit troublé à la fois par cette curieuse thérapie qui entraîna un meurtre, et aussi par sa relation avec une journaliste. Dans un cas criminel, le doute habite toute personne sensée, ce qu'il est assurément. Le portrait nuancé de ce magistrat enquêteur s'avère très réussi.
Ce qui distingue un roman noir, c'est évidemment son contexte. Nous sommes ici dans la Pologne postcommuniste, une quinzaine d'années (seulement) après l'avènement de la démocratie. À travers le métier de Weronika, l'épouse du héros, on constate que certaines lourdeurs administratives restent très présentes. Le procureur gagne correctement sa vie, mais semble attentif à ne pas gaspiller d'argent, le luxe étant encore rare. S'il aime les jeux vidéos actuels, Szacki ne renie pas la Pologne de sa jeunesse.
Le pays apparaît toujours marqué par l'héritage d'époques passées. “Corrige-moi si je me trompe, mais est-ce qu'en 1989, tu as vu exploser une espèce de bombe "K" qui aurait vaporisé d'un seul coup tous les putains d'apparatchiks rouges, toutes les crapules à la solde des soviétiques, (...) toute cette racaille totalitaire ?” demande l'historien Karol Wenzel à Szacki. Et puis, on nous invite à parcourir les décors de la capitale polonaise, métropole que nous connaissons peu. Voilà un suspense noir qui ne possède que des atouts très favorables.